Soirée lyrique franco-italienne avec Pene Pati à l’Opéra de Bordeaux
Il s’agit d’une escale en terrain doublement connu pour le ténor samoan : dans un répertoire romantique français et italien qu’il maîtrise, et devant un public bordelais qui a déjà eu l’occasion de l’acclamer lors de ses précédentes venues (Anna Bolena de Donizetti en 2018 et La Favorite l’an passé, Roméo et Juliette de Gounod en 2020). Cette fois, il vient épaulé du chef Emmanuel Villaume, avec qui il a enregistré son album Pene Pati en 2022, précisément avec la participation de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine. La complicité du chanteur et du chef est perceptible, de même que l’enthousiasme des instrumentistes d’accompagner deux artistes aussi complets.
Le concert en deux parties et entracte débute par le programme italien, avec la Symphonie n°4 de Felix Mendelssohn, dite l’« Italienne ». Conduit par un pupitre de violons-altos virevoltant, le premier mouvement Allegro vivace est particulièrement dynamique et entraînant sous la battue nerveuse, voire musclée du chef. L’Andante du deuxième mouvement se fait noble et plaintif, se gardant de tout alanguissement excessif et adoptant très justement un tempo « allant », qui évoque une promenade mélancolique et non plus une marche funèbre. Le contrepoint ravissant entre les cordes ploie comme des vagues et le timbre de velours des cuivres. Tout s’achève en pizzicati dans le grave, estompé comme un murmure avant d’emporter la salle dans la fièvre d’une tarentelle endiablée, en passant par de longues mélodies déployées avec lyrisme, annonçant déjà la suite de programme.
Pene Pati entre en scène sur les accents du Prélude de L'Élixir d'amour, dont l’orchestre souligne comiquement le dramatisme pour illustrer l’arrivée du héros de la soirée. S’ensuit la célèbre romance Una furtiva lagrima, sur des arpèges élégiaques de harpe. La voix n’a pas encore chauffé et frôle le falsetto sur le pianissimo final, mais cela reste un détail de technique tant l’interprétation est maîtrisée dans les moindres accents et intentions. S’ajoute à cela une présence franche et charismatique, une diction sans faute de l’italien (comme du français sur les airs qui suivront). Le public ne s’y trompe pas et lui réserve un triomphe dès ce premier morceau.
À voir la présence du personnage, l’auditeur s’attendrait à une voix de stentor vibrant jusqu’aux voûtes de l’auditorium, mais Pene Pati est un interprète infiniment plus subtil. Son émission n’est jamais forcée. À aucun instant il ne donne l’impression de pousser son vibrato, lequel apparaît seulement pour amplifier les notes tenues le plus naturellement du monde. Pour autant, le volume ne lui fait pas défaut, notamment sur les aigus solidement projetés. Il excelle particulièrement dans le registre mixte, intermédiaire entre la voix de tête et la voix de poitrine, grâce à une tenue de souffle sans faille. À l’écoute, cela se traduit par un timbre feutré, lumineux dans l’aigu et soyeux dans le médium.
L’assistance est ravie et en redemande. Elle se verra gratifiée de deux morceaux supplémentaires : “Dein ist mein ganzes Herz”, tiré de Das Land des Lächelns (Le Pays du Sourire) de Franz Lehár (dans un allemand que Pene Pati prononce également très bien) et La Danza, de Rossini, reprise une seconde fois. Le public est invité à frapper dans ses mains sur le rythme de la tarentelle tourbillonnante.