Une Chauve-Souris colorée à Marseille
Venant clore la saison des opérettes, l’Opéra de Marseille programmait la Chauve-Souris de Johann Strauss fils, dans sa version française, dont les lignes mélodiques sont moins affûtées que dans son équivalent germanophone. En revanche, les textes modernisés et localisés exhaussent manifestement le plaisir des spectateurs. L’intrigue suit Duparquet, un jeune homme imaginant une vaste supercherie pour se venger d’une farce de son ami Gaillardin, qui l’a tourné en dérision à la suite d’un bal arrosé où il s’était rendu déguisé en Chauve-Souris.
Marie Gautrot et Alexandre Duhamel dans la Chauve-souris (© Christian Dresse 2016)
La mise en scène de Jean-Louis Grinda se révèle équilibrée, évitant les longueurs sans pour autant exalter totalement la vivacité festive de l’œuvre malgré l’introduction de cancans, la faute en revenant également à des tempi parfois choisis peu allègres par le chef Jacques Lacombe. Le metteur en scène choisit de réaliser les changements de décors à vue, dans un ballet spectaculaire, notamment lorsque, durant les saluts finaux, les décors des deux premiers actes défilent tandis que les interprètes surgissent de toute part pour recevoir les applaudissements du public. Cette étape, souvent peu travaillée, est ici le clou de spectacle, ce qui laisse une agréable dernière impression. La scénographie, imaginée par Rudy Sabounghi, présente un salon aux tentures vieillottes dans le premier acte, chez Gaillardin, qui laisse ensuite place à un escalier monumental donnant accès à la salle richement parée du prince Orlofsky. Le même escalier donne accès, au troisième acte, au bureau du directeur de la prison, Tourillon.
La chauve-souris par Jean-Louis Grinda (© Christian Dresse 2016)
La production est portée par une distribution de qualité. Alexandre Duhamel, dans le rôle de Duparquet, fait office de maître de cérémonie, tirant les ficelles de la supercherie, un sourire à la fois satisfait et moqueur aux lèvres. Son timbre de baryton est brillant, sa voix puissante et son souffle long. Sa victime, Gaillardin, est interprétée par le baryton Olivier Grand, dont le jeu scénique est soigné. Il offre une prestation énergique, pleine d’humour et de bonhomie. Sa voix ensoleillée et bien ancrée convient tout à fait au personnage. Ce trio central est complété par la Caroline (la femme de Gaillardin) d’Anne-Catherine Gillet (qui remplacera en fin de mois Sonya Yoncheva dans Manon Lescaut à l'Opéra de Monte-Carlo...qui est dirigé par Jean-Louis Grinda, le metteur en scène de cette Chauve-Souris), dont le phrasé si caractéristique reste parfaitement compréhensible lorsqu’elle adopte un accent polonais pour tromper son mari. Le personnage candide et gracieux qu’elle compose s’accorde parfaitement à sa voix légère et agile, au vibrato intense et rapide. Ses aigus de pinson sont clairs et aiguisés, tandis que ses médiums ont un timbre presque mélancolique.
Anne-Catherine Gillet et Julien Dran dans la Chauve-souris (© Christian Dresse 2016)
Son amant, Alfred, est interprété par un Julien Dran au grand pouvoir comique, qui en fait un noble faquin, pernicieux et sans scrupule, l’air toujours détaché et sûr de lui, prêt à tout pour arriver à ses fins. Le ténor affiche une voix brillante dans les aigus. Lorsque dans sa prison, il passe en revue le grand répertoire dans un récital accéléré destiné à faire perdre patience à son geôlier, il montre tout le potentiel dont il est doté : nous attendons donc son Gérald (dans Lakmé à Tours à partir du 27 janvier) avec impatience ! Jennifer Michel campe Adèle, la facétieuse femme de chambre de Caroline. La soprano dispose d’aigus ciselés qui s’envolent dans des vocalises maîtrisées pour atterrir sur des notes joliment tenues avec un agréable vibrato. Les médiums, légèrement métalliques, sont projetés moins puissamment. Marie Gautrot dispose d’une voix fluette dans les graves mais d’aigus très clairs. Sa prestation scénique est d’une grande justesse, ce qui lui vaut des applaudissements nourris pour son premier galop in loco.
Julien Dran, Olivier Grand et Anne-Catherine Gillet dans la Chauve-souris (© Christian Dresse 2016)
Jean-François Vinciguerra, alias le directeur de prison Tourillon, dispose d’une voix puissante et d’un indéniable talent de comédien. Un problème de justesse vient cependant émailler ses premières interventions. Estelle Danière est une Flora convaincante tant vocalement que scéniquement, tandis que Carl Ghazarossian est un Bidard (l'avocat de Gaillardin) impliqué, dont la voix peine cependant à dépasser l’orchestre, notamment dans le premier acte. Enfin, Jean-Philippe Corre interprète le double rôle d’Yvan et de Leopold (tout en étant assistant à la mise en scène), qui dispose du monologue de l’acte III, ici assez léger et réussi, et d’ailleurs salué par le public, même si le jeu sur l’ébriété de son personnage aurait pu être allégé.
Le Chœur de l’Opéra, préparé par Emmanuel Trenque, offre des interventions puissantes et rythmiquement en place, y ajoutant même quelques pas de danse et un jeu drolatique. Si le chef Jacques Lacombe perd parfois l’entrain festif de la partition en choisissant des tempi peu allègres, il dévoile en revanche une belle palette de couleurs et révèle les sous-entendus et les sentiments cachés des personnages. L’Orchestre de l’Opéra est ainsi nuancé et offre une magnifique ouverture, au cours de laquelle les cuivres se montrent brillants tandis que les violons sautillants trouvent un ton léger, de celui que l’on adopte lorsque l’on sifflote en se baladant par un après-midi ensoleillé.
Si vous avez vu la production, partagez votre avis dans les commentaires ci-dessous !