Les Pêcheurs de perles, promesse de nuit enchanteresse aux Champs-Élysées
Composé par un tout jeune Bizet de 25 ans, l’opéra « Les Pêcheurs de perles » faillit tomber dans l’oubli tant les critiques de l’époque fustigèrent l’œuvre notamment à cause de son livret. S’inspirant de « L’Île de Ceylan et ses curiosités naturelles » d’Octave Sachot, les librettistes Cormon et Carré conçurent une intrigue quelque peu rebattue (« intrigue où seuls les coquillages sont d’origine » ironise Piotr Kaminski dans Mille et un opéras) avec son triangle amoureux sous couvert de trahison, de jalousie et de sacrifice.
Si l’opéra est cependant passé à la postérité, c’est grâce à la puissance évocatrice et dramaturgique de la musique de Bizet qui touche l’auditoire encore ce soir en version de concert. L’Opéra est parsemé de « perles » comme la fameuse romance de Nadir ou bien le duo « Oui c’est elle, c’est la déesse », thème qui parcourt l’œuvre et que le public sifflote en sortant de la représentation.
Les projecteurs du TCE sont tout d’abord dirigés sur l’Orchestre de chambre de Paris qui met toute son expertise au service de la riche partition du compositeur français. Les différents pupitres sont remarqués et très applaudis en fin de soirée. Les instrumentistes évoluent sous la direction agitée de Lorenzo Passerini faisant cependant se déployer les phrases dans des courbes expressives parsemées d'un éloquent rubato (souplesse rythmique).
C’est dans un drapé blanc que se présente la soprano Sandra Hamaoui pour incarner la prêtresse Leïla (un drapé marron clair est choisi en deuxième partie, son amour dévoilé ne supportant visiblement plus la couleur virginale). Son timbre concentré et métallisé s’adapte aux vocalises qu’elle réalise de façon appliquée. Elle peine cependant à suivre les palpitations de l’orchestre lorsqu’elle reconnait Nadir, restant en retrait vocalement dans une ardeur tenue. Si elle a accès à son registre suraigu de façon convaincue, sa voix se raidit dans l’intensité, perdant sa vibration et faisant entendre une certaine dureté.
Après l’Opéra de Bordeaux, Jonah Hoskins retrouve le personnage de Nadir qu’il campe de son ténor léger et sans faille. Il exprime la détermination de son personnage : vivre son amour à n’importe quel prix (quitte à mettre en danger Leïla ou manquer à ses serments envers son ami) de sa voix robuste ornée d’un vibrato serré. Il impose la fameuse romance sans sourciller, interprétant les deux couplets à l’identique sans manquer toutefois de charmer l’auditoire et le chef d’orchestre qui le gratifient d’applaudissements et d’une chaleureuse accolade. Si son assurance technique peut amoindrir quelque peu une expression sensible, il convoque cependant l’ardeur dans son engagement à protéger Leïla.
Le baryton Joshua Hopkins incarne Zurga d’une voix aussi solide que son amitié pour Nadir. L’énergie est au rendez-vous lorsqu’il rappelle à Leïla son serment de chasteté, la sentence émise dans un français impeccable. Si chaque intervention est projetée infailliblement, il contrôle cependant sa puissance lorsqu’il chante en duo avec Nadir dans un équilibre idéal.
Si le rôle de Nourabad ne procure que quelques courtes interventions, Matthieu Lécroart s’y investit pleinement dans une diction nette et sa voix de basse s’ancre puissamment lorsqu’il condamne Leïla à mort.
Le Chœur de chambre de Rouen, ensemble d’amateurs préparé par Frédéric Pineau assume précisément les nombreuses parties chorales sans cependant parvenir à un équilibre avec l’orchestre. Les voix peu vibrantes, juvéniles (voir enfantines), offrent une ampleur réduite peinant à passer la masse orchestrale dans les moments de fort engagement (« Ô nuit d’épouvante »). Si les voix semblent quelque peu poussives dans les grands forte, le chœur prend sa juste place dans les pages de douceurs et de recueillement.
Le public gratifie les artistes d’applaudissements chaleureux pour ce « divin ravissement » précédant certainement une « nuit enchanteresse ».
#LesPêcheursDePerles #Bizet @TCEOPERA @SandraHamaoui | Leïla Jonah Hoskins | Nadir Joshua Hopkins | Zurga Matthieu Lécroart | Nourabad Lorenzo Passerini | direction@orchambreparis Chœur de chambre de Rouen | direction Frédéric Pineau pic.twitter.com/8oeWHf5b8p
— Grossu Minutu (@Grossu_Minutu) 4 mars 2024