Présences à Radio France, Transformations de la matière sonore
Cette première soirée de Festival illustre pleinement l’effort déployé depuis quelques temps par la maison ronde en faveur de la création, de la jeune génération (près de la moitié des 23 compositeurs de cette édition ont entre 30 et 40 ans) et des compositrices (un tiers de cette programmation).
Deux créations mondiales sont au programme ce soir : In time like air, pour grand ensemble, de Joséphine Stephenson (née en 1990) et Close-ups pour soprano et violon d’Héloïse Werner (née en 1991). La première ne recule pas devant le sentiment et un agencement formel en vignettes successives hérité du monde du cinéma et de la musique de film, qui lui est très familier. Le traitement musical du poème éponyme de May Sarton, daté de 1958, donne lieu à une structuration formelle en quatre parties, réflexion sur les différents états de la matière, liquide ou gazeux, transcription musicale de la couleur des cristaux et des phénomènes de dissolution. La pulsation régulière des instruments percussifs alterne avec une texture orchestrale souvent en homorythmie, qui manie habilement aussi les tuilages.
Dans Close-ups, Héloïse Werner, elle-même soprano, interprète sa propre composition sur un texte de sa sœur Emma Werner, en duo avec la violoniste Hae-Sun Kang, par ailleurs musicienne de l’Ensemble intercontemporain depuis 1994. Par sa présence scénique, Héloïse Werner déploie de grands numéros de virtuosité vocale, dans une écriture incluant cris, onomatopées, syllabes isolées et bruits divers (un catalogue rappelant ceux déployés par Cathy Berberian). Elle prête sa théâtralité à un jeu d’imitations et d’échanges de répliques avec sa comparse à cordes, ajoutant à la voix le geste et l’usage de différents objets aux propriétés percussives : livre refermé violemment, son de cloche, hochet de type egg shaker ou bras levé suggérant l’autorité et les dérives dictatoriales. Plusieurs caractères se succèdent ainsi dans une dénonciation en douze minutes de l’absurdité du jeu social.
La palette des talents de Steve Reich ici présentée est des plus variées. La première partie du concert est couronnée par son Échelle de Jacob (en anglais : Jacob’s Ladder), pour quatre voix et grand ensemble, donné ici en création française, la deuxième partie par Reich/Richter, pour orchestre de chambre. Deux œuvres très récentes, la première ayant été composée en 2023, la seconde en 2018. Jacob’s Ladder renoue avec une source d’inspiration hébraïque qui est une constante chez Reich depuis les années 1980. Un verset de la Genèse est déployé au sein de quatre parties vocales (deux sopranos et deux ténors). L’agencement en quatre sections suit le découpage du texte. Dans l’ensemble instrumental qui s’apparente à un orchestre symphonique d’effectif réduit, se distinguent les traits des bois et la pulsation des deux vibraphones et du piano. L’orchestre commente l’énonciation du texte par les voix en en reprenant l’“échelle” pentatonique (à cinq notes), dont la montée et la descente renvoient aux symboles du Ciel et de la Terre. Les voix de l’ensemble Synergy Vocals se fondent ici pleinement dans le tissu instrumental en réalisant des mixtures de timbres tout à fait riches.
Reich/Richter, renvoie à la fascination de Reich pour l’œuvre du peintre allemand Gerhard Richter. De la rencontre des deux artistes est né un film, reproduction des abstractions de Richter – non montrées ce soir. L’œuvre musicale, pour ensemble instrumental sans voix, évoque une gigantesque arche instrumentale où un continuum augmente progressivement en densité (les oscillations rythmiques reposent sur des valeurs de plus en plus longues) puis regagne son état initial. Les musiciens de l’Ensemble intercontemporain, placé sous la direction de George Jackson, brillent ici par leur aptitude à interpréter un répertoire où la précision rythmique est le maître mot.
Le Festival Présences montre ainsi, une fois encore, combien la musique contemporaine est diverse. La programmation alternant d’année en année entre des compositeurs avant-gardistes, ou dont la musique ne boude pas la tonalité ou la modalité, voire le lyrisme, voire comme avec Steve Reich le versant postmoderne de notre histoire musicale des soixante dernières années : celui qui dépasse la notion de progrès et de modernité dans l’art, par le minimalisme, répétitif (qui suscite encore quelques propos peu amènes de certains spectateurs).
Les deux compositrices et la musique de Steve Reich reçoivent des ovations très chaleureuses, celui n'ayant pu venir en France a communiqué un message enregistré.