Festif Enlèvement au Sérail au Théâtre des Champs-Elysées
Julien Chauvin a déjà abordé l’ouvrage de Mozart dans le cadre de représentations scéniques en 2018 au sein d’une production de la Co[opéra]tive. Il propose aujourd’hui une version en concert, sans les dialogues d’origine mais alimentée par un texte en français à la fois intelligent et savoureux rédigé par Ivan Alexandre. C’est Éric Ruf, interprète de Sélim et revêtu d’une superbe djellaba, comédien et Administrateur général de la Comédie Française, qui se charge avec une sorte de délectation de la lecture de ce texte qui assure bien plus que la liaison entre les différentes scènes chantées.
Tous les interprètes présents abordent leur rôle respectif pour la première fois. Florie Valiquette devait initialement interpréter le rôle de Blonde. Mais elle incarne finalement Constance, remplaçant Albina Shagimuratova initialement prévue mais qui n’a pas pu se rendre dans l’Hexagone (elle chantait le 30 novembre dernier Les Puritains au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg). Fort heureusement, Florie Valiquette était déjà engagée pour incarner le rôle de Constance, à l’Opéra Royal de Versailles en mai prochain dans une mise en scène de Michel Fau (qui incarnera lui aussi Selim Bassa) et sous la baguette de Gaétan Jarry. La cantatrice canadienne, dont la voix s’est un peu élargie sans pour autant perdre de son agilité, incarne une Constance encore un peu réservée, mais déjà fort émouvante et sensible. Elle domine avec aisance ses différentes arias, ce avec un juste aplomb même si sa prise de rôle en scène lui permettra très certainement d’approfondir cette écriture vocale ardue et son incarnation du personnage.
Ténor en premier lieu rossinien (il chantait Don Ramiro de La Cenerentola mise en scène in loco en octobre), Levy Sekgapane s’illustre dans les airs de Belmonte qui allient agilité, legato et assise du souffle. Ces qualités s’expriment dans ce rôle avec beaucoup de subtilité, même si le registre grave demeure plus discret en termes de rayonnement. La basse Sulkhan Jaiani campe un Osmin particulièrement impressionnant au plan vocal. La voix est riche, large et possède un timbre tout en relief. Il domine toute l’étendue de la tessiture d’Osmin avec aisance, notamment dans les graves extrêmes qui confèrent tout son caractère singulier à ce personnage à la fois tyrannique et comique, mais tout de même plus que touché au cœur par la ravissante Blonde. Cette dernière est incarnée à ravir par la soprano Florina Ilie : la voix bien projetée, le charme inné du timbre, les vocalises enjouées, emplissent le rôle dans ses moindres aspects.
Enfin, le ténor Sahy Ratia ne cesse décidément de progresser. Son Pedrillo, astucieusement incarné, se distingue par l’élégance du phrasé, son raffinement, mais aussi par une affirmation nouvelle qui devrait lui permettre d’aborder désormais des rôles un rien plus larges. Son aisance en scène conquiert également le public.
Julien Chauvin connaît bien son Mozart. Depuis son violon, il dirige cet Enlèvement au Sérail avec un plaisir totalement partagé par les musiciens du Concert de la Loge qui allient animation et grâce de jeu. Cette approche souriante n’entrave à aucun moment la dynamique de la musique et la précision rythmique de cette partition savante. Les interventions du Chœur Fiat Cantus préparé par Thomas Tacquet complètent avec soin cette représentation vivement saluée par le public du Théâtre des Champs-Élysées.