Une Vie parisienne festive à Saint-Etienne
La mise en scène par Jérôme Savary de La Vie parisienne, qui a dépassé les 400 représentations depuis sa création voici trente-six ans, fait économie de finesse pour rendre hommage à la folie et à la polissonnerie d’Offenbach. Les bons mots actualisés (on y parle de Top Chef et de la primaire de la gauche) s’enchaînent, tout comme les cancans et les mains aux fesses. Le fantôme d’Offenbach en personne vient même donner une masterclass au chef au beau milieu de la représentation. Les décors (signés Michel Lebois) sont composés de panneaux descendant des cintres, ce qui présente l’avantage de permettre des changements rapides et nombreux, fluidifiant l’action. Les somptueux costumes, au premier rang desquels figurent la robe jaune canari de Gabrielle et la robe pourpre de Métella, sont imaginés par Michel Dussarat.
Mélanie Boisvert, Lionel Peintre et Guillaume Andrieux dans La Vie parisienne (© Hubert Grenouilhac - Opéra de Saint-Etienne)
La distribution est jeune et virevoltante, apportant autant de qualités vocales que d’aisance scénique. Cette opérette loufoque met au centre de son intrigue deux jeunes hommes en quête de conquêtes féminines et qui se lancent pour cela dans une vaste supercherie. Ces deux bougres sont Raoul de Gardefeu et Bobinet. Le premier est interprété par un Guillaume Andrieux fringant et survitaminé, à la voix puissante et patinée. Ses graves sont ravissants et un ample vibrato résonne sur l’ensemble de son registre vocal. Le second est interprété par Christophe Berry, qui n’est pas en reste, projetant de flamboyants aigus et détachant chaque syllabe avec une diction soignée.
Guillaume Andrieux, Pauline Sabatier et Christophe Berry dans La Vie parisienne (© Hubert Grenouilhac - Opéra de Saint-Etienne)
Ces deux imposteurs jettent leur dévolu sur une baronne suédoise, malheureusement accompagnée d’un mari grivois qui veut « s’en fourrer jusque-là ! ». La première emprunte l’attitude altière de la soprano Elodie Hache aux aigus légers et au timbre riche en couleurs. Parfaitement audible, elle offre une belle tenue de note vibrée avec goût. Lorsque, pour singer les cantatrices que son personnage vient d’écouter, elle déploie une panoplie de vocalises puissamment projetée, elle suscite la curiosité, d’autres rôles plus exigeants pouvant mettre en valeur ces qualités. Son mari est interprété par un Lionel Peintre survolté à la voix agréable et chaude, affublé d’un chuintement mettant à mal la noblesse conférée par son costume classieux et sa barbe grisonnante, et auquel il faut s’habituer, les surtitres restant indispensables pour ne rien manquer de ses interventions. Constamment bondissant, les yeux concupiscents toujours rivés sur les formes féminines qui l’entourent, il est irrésistible lorsqu’il feint de s’endormir tout en chantant dans son duo avec le personnage de Pauline.
Lionel Peintre dans La Vie parisienne (© Hubert Grenouilhac - Opéra de Saint-Etienne)
Dans leur entreprise, les deux séducteurs peuvent compter sur la complicité de divers personnages hauts en couleur, dont une gantière, Gabrielle, interprétée par la canadienne Mélanie Boisvert. Annoncée souffrante, la soprano peine certes à proposer une puissance équivalente à celle de ses partenaires, mais sa performance piquante attire malgré tout l’attention. Les envolées de Boisvert laissent même entendre des aigus d’une grande pureté, tranchants (dans l’air tyrolien notamment) et parfaitement émis, en pinçant légèrement les lèvres. Son jeu farouche mais pimpant et pétillant dégage une énergie qui se ressent dans chacun de ses gestes. Cette galerie de personnages comprend également un bottier (mal chaussé et ayant mal aux pieds, mais surtout amoureux de la gantière) et un riche brésilien (venu se faire plumer), tous deux interprétés par Marc Larcher. Ce dernier s’adapte à ses personnages, affichant pour le premier un timbre ensoleillé et un accent brésilien, malgré lequel il reste parfaitement compréhensible, faisant fi du rythme d’enfer imposé par la partition. Dans l’ensemble final, il manque toutefois d’entrain, faisant dès lors perdre de son panache à la musique festive d’Offenbach. Pour le second, il déploie des vocalises exagérées que le public apprécie.
Marc Larcher dans La Vie parisienne (© Hubert Grenouilhac - Opéra de Saint-Etienne)
La servante Pauline a le bagou assumé d’Olivia Doray, ardente dans son jeu. Sa voix claire mais nuancée est bonifiée par un vibrato fin et charmant. La courtisane Métella prend les traits de Pauline Sabatier dont la voix perd parfois de son ancrage, mais dont les aigus pincés ont du caractère. Antoine Normand apporte une grande dose d’absurde avec ses personnages de Prosper et d’Alphonse tandis que Jacques Calatayud, à la fois Alfred et Urbain, est mal à l’aise vocalement quand le jeu scénique l’accapare, mais dévoile de larges graves au timbre doré dans sa dernière intervention soliste. Marie-José Dolorian campe une acariâtre Quimper-Karadec exubérante et au vibrato exorbitant.
La Vie parisienne par Jérôme Savary (© Hubert Grenouilhac - Opéra de Saint-Etienne)
Le chef Benjamin Lévy est à la peine durant la première demi-heure du spectacle : l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire semble pesant et loin de la légèreté attendue d’une opérette. Les décalages rythmiques se font légion, tant au sein de l’orchestre (les cymbales finissent presqu’en contretemps), qu’avec les solistes ou entre les choristes. Les danseuses de cancan, elles aussi, semblent s’ennuyer sur leur première intervention. Heureusement, ces problèmes finissent par s’évanouir et la musique champagne d'Offenbach se remet ensuite à pétiller. Le chef varie alors les tempi pour soutenir le rythme de l’intrigue et les chœurs montrent leur puissance et leurs couleurs. Les danseurs cancaneurs, emmenés par deux brillants et gracieux solistes, Sabine Le Roc et Giuseppe Preziosa, sont même rappelés quatre fois à l’issue du spectacle par un public de Saint-Etienne ravi, battant la pulsation des mains comme des pieds.