Auditions de Génération Opéra 2023 : 7 jeunes à suivre
C’est devant un parterre de professionnels de l’art lyrique (directeurs de maisons d’opéras et d’ensembles, agents artistiques, journalistes) que ces jeunes artistes encore en formation sont invités à se produire pour un concert-audition. Sur les 12 jeunes artistes lyriques faisant partie de la Promotion 2023-2024 de Génération Opéra, 6 sont ce soir présents (les autres se trouvant soit en production, soit souffrant), avec en plus la soprano Apolline Raï-Westphal récipiendaire du Prix Génération Opéra lors du Concours international de la mélodie de Gordes de cette année. Chaque artiste doit interpréter deux airs d’opéra, un air pouvant être remplacé toutefois par une mélodie. Tous ces jeunes possèdent de réelles qualités et des bases techniques solides, se combinant avec un réel enthousiasme et plus encore avec la soif d’apprendre et de se perfectionner, mission centrale développée par Génération Opéra et ses dirigeants. Mais les points vocaux à travailler, notamment au sein du Studio Bastille dont l’acoustique ne valorise guère l’ampleur des voix se faisant volumineuses, sont encore présents chez la plupart d’entre eux. Les choix de morceaux peuvent de surcroît s’avérer un peu imprudents, sinon téméraires !
La soprano Lucie Peyramaure ouvre ainsi l’audition avec deux morceaux redoutables, l’air d’Elisabeth “Dich, teure Halle” du Tannhäuser de Richard Wagner et l’Altra notte, air si profondément dramatique, tiré du Mefistofele d’Arrigo Boito. La voix s’impose par sa couleur marquée et par sa projection particulièrement affirmée, sa montée vers l’aigu et une franchise qui ne concède rien, notamment vis-à-vis de l’expressivité ou de l’abandon (ce qui est un peu dommage, le personnage d’Elisabeth, plein d’espoir à son entrée sur scène, se voyant envahie par des sentiments amoureux puissants). Le souffle n’en est pas moins assuré et maitrisé.
Le contre-ténor Léopold Gilloots-Laforge lui succède avec un air tiré du Tamerlano de Georg Friedrich Haendel “A dispetto d’un volto ingrato” après avoir étonné en ouverture de son programme, avec la scène de la Mort d'Elephant Man venant de l’ouvrage homonyme de Laurent Petitgirard, créé à la scène en 2002. S’il démontre ici une sensibilité toute particulière et émouvante, ce morceau ne lui permet pas de révéler ses réelles capacités vocales, du fait notamment d’une diction qui reste perfectible. De même, Tamerlano le pousse un peu dans ses extrêmes, notamment dans les parties chargées de vocalises.
La basse Mathieu Gourlet démontre un fort caractère dans son interprétation du Lied Verrat de Brahms et impose un vrai tempérament dramatique dans "Il lacerato spirito" (Simon Boccanegra de Verdi). La voix imposante dans sa construction déploie une belle ampleur, un grave sonore et profond, mais aussi un legato qui doit être perfectionné et débarrassé de certains à coups trop marqués. Mais tout le potentiel paraît richement présent.
Apolline Raï-Westphal aborde l’air d’entrée de la Manon de Massenet avec vaillance et le sourire aux lèvres même si l’aigu paraît un peu tiré. En revanche, l’air de Pamina de La Flûte enchantée de Mozart est chanté avec force et sans marques d’abandon émotionnel. Mais ses professeurs sauront sans doute lui indiquer des modèles -à s’approprier- en la matière, comme celui de la soprano Lotte Schöne.
Le baryton Edwin Fardini, qui a remporté le Grand Prix Voix des Outre-mer il y a deux ans, aborde lui aussi Tannhäuser avec la Romance à l’étoile et un aplomb certain, alliant une gravité et une détermination qui dans la seconde partie de l’air prend le pas sur l’élégiaque, l’expression et le rendu. Le timbre est toujours aussi accrocheur et les assises de qualité. Il se trouve plus à son aise dans l'air qu'il affectionne et emporte toujours avec lui, celui du Dardanus de Rameau, ce fameux Monstre affreux, monstre redoutable où l’aigu s’impose avec force et vigueur.
Kaëlig Boché a déjà montré au concert ses affinités avec la mélodie et le Lied. Sa sensibilité et sa musicalité s’expriment sans tabou dans son interprétation des deux airs choisis, “Una furtiva Lagrima” de L’elisir d’amore de Donizetti, puis "Vainement Pharaon" tiré de l’opéra Joseph de Méhul. Si la voix du ténor s’est bien affirmée désormais -l’aigu s’épanouissant avec facilité et la ligne vocale s’avérant exemplaire-, le timbre valorise sa clarté très française, manquant un rien d’italianité pour Nemorino. Toutefois, son appropriation franche et directe du rôle ne manque pas de séduction et il en va de même pour Joseph chanté sans pathos et avec une authentique approche (même si le rôle requiert à la scène sur sa totalité une voix de ténor plus corsée et plus puissante).
Appréciée récemment en Madame Lidoine dans Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc à l’Opéra de Liège, Claire Antoine s’impose avec un soprano lyrique d’une grande facilité d’émission et dotée d’un registre aigu étendu. Le vibrato est maîtrisé et son chant expressif. La noblesse du phrasé parvient à s’exprimer au mieux dans Iphigénie en Tauride de Gluck, tandis que son approche vibrante de Liú de Turandot, lui permet de démonter un art aiguisé du diminuendo et de la nuance habitée.
Les deux pianistes accompagnateurs, Moeka Ueno et Rodolphe Lospied (sélectionnés parmi 20 candidats par Génération Opéra), font preuve d’une rare faculté d’adaptation à chaque répertoire abordé et d’une solidité à toute épreuve. Ils s’associent tous deux pleinement et sans distinction aucune avec chaque jeune chanteur présent.
En ces temps difficiles pour l’entrée en carrière les jeunes artistes, il reste à souhaiter que les plus talentueux parviendront à se faire une place au soleil de l’art lyrique.
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