Des Carmélites sur le chemin étroit de la grâce à l’Opéra de Massy
L’approche scénique de Mireille Delunsch du chef d’œuvre lyrique de Francis Poulenc se veut parfaitement respectueuse de l’ouvrage ainsi que du texte presque sacré de Georges Bernanos. La vie au sein du Carmel de Compiègne est ici déclinée sans fard depuis les temps prospères précédant la révolution jusqu’aux tragiques évènements qui vont le faire disparaître. Les éléments sont aussi minimalistes que signifiants et pleinement cohérents avec l'essence de ce drame religieux, du dépouillement spirituel et matériel, du sacrifice.
Le soin apporté aux moindres déplacements des religieuses, à leurs interrogations, à leur peur les plus secrètes, apparaît ici pleinement maîtrisé. Le drame ainsi exposé se suffit lui-même et la montée à l’échafaud de chaque carmélite tenant une bougie éclairée à la main, préfigurant leur ascension vers le ciel étoilé qui habille la scène finale, bouleverse visiblement le public, au plus haut point et assurément durablement.
Par rapport à la reprise du spectacle à Bordeaux en juin dernier, la distribution vocale affichée à Massy a été totalement renouvelée en dehors de Patrizia Ciofi en Madame Lidoine, qui était déjà la nouvelle prieure (et Timothée Varon en Geôlier). Las, un voile quelque peu opaque s’est installé sur cette voix hier si brillante, affectant tant le médium que le grave voire une part de l’aigu. Les élancements vocaux de Madame Lidoine s’en trouvent notablement réduits et peu audibles.
Pour sa prise de rôle de Blanche de la Force, puis de l’Agonie du Christ, Marianne Croux déploie des moyens d’une savante plénitude ainsi qu’une compréhension déjà acquise de ce rôle ô combien complexe. L’aigu est libéré et brillant, la ligne de chant assurée. Elle déploie dans son chant tout un éventail de couleurs mordorées, qui lui permettent d’évoquer tant le caractère aristocratique du personnage que le volet mystique qui pousse Blanche enfin détachée de sa peur originelle à rejoindre ses sœurs à l’heure du supplice.
Marie-Ange Todorovitch connaît bien les angoisses et les douleurs de Madame de Croissy pour l’avoir incarnée à plusieurs reprises à la scène. Si la voix un peu claire ne possède pas totalement les graves puissants du contralto attendu ici, elle impose par contre une vision prophétique et quasi terrifiante de ce personnage qui à l’heure de mourir prend en charge la peur de la jeune Blanche. Sans jamais verser dans le mélodramatique ou l’excès, Marie-Ange Todorovitch s’impose ainsi dans la mémoire.
Sheva Tehoval livre une prestation toute de jeunesse et de fraicheur en Sœur Constance, sa voix ronde et ravissante de timbre convenant parfaitement à ce personnage radieux. La mezzo-soprano Ahlima Mhamdi confère au personnage difficile de Mère Marie de l’Incarnation une présence imposante et d’une rectitude implacable. Entre feu et glace, sanglée dans ses certitudes et ses souhaits du martyr, elle met en valeur ses vastes moyens vocaux et ses aigus tranchants à son total service.
Les mezzos Anouk Defontenay et Alexia Macbeth investissent les rôles plus secondaires de Mère Jeanne de l’Enfant Jésus et de Sœur Mathilde avec chaleur et un vécu de chaque instant.
Du côté de la distribution masculine, l'investissement et l'incarnation s’avèrent aussi au rendez-vous. André Heyboer campe avec conviction cette figure de père, Le Marquis de la Force, déchiré par le choix de sa fille, d’une voix de baryton bien amarrée et tonnante. Kévin Amiel soigne particulièrement les interventions du Chevalier de la Force, sa voix de ténor s’affirmant aujourd’hui plus tonique, plus affermie de ligne, avec l’introduction notamment dans le duo au parloir du Carmel avec Blanche d’aigus en voix de tête fort bien maîtrisés. Il campe un personnage éminemment vrai et attachant. Parfaitement rodé au sujet, Eric Huchet donne au Père Confesseur un relief particulier que sa voix de ténor de caractère relaie au mieux.
Timothée Varon cumule avec gravité et bonne facture les rôles du Deuxième Commissaire, du Geôlier, de l’Officier et de Thierry, le valet, tandis que le jeune ténor Grégoire Mour se charge avec pertinence du rôle du Premier Commissaire et le baryton Pierrick Boisseau du médecin, Monsieur Javelinot, ce d’une voix assurée.
Placé à la tête de l’impeccable Orchestre National d’Ile-de-France, José Miguel Pérez-Sierra s’empare avec acuité de la partition de Poulenc, lui conférant la part exacte de puissance dramatique qui l’irrigue, sans pour autant l’écraser ou la porter à ébullition. Il respecte avec vigilance les parties plus portées par l’émotion ou la retenue, pour ensuite mieux investir les pages plus fulgurantes, comme l’interlude glaçant qui précède le chant des Carmélites lors de la scène finale. Les Chœurs réunis pour ces deux représentations remplissent habilement leur mission.

Ce dimanche après-midi, c’est une salle pleine qui applaudit sans réserve ces Dialogues des Carmélites émérites et emplis d’une juste sincérité expressive.
