Günther Groissböck, voyage d'un soldat lyrique à La Monnaie
Au programme du récital intitulé Nicht Wiedersehen! (Never to Meet Again! - Ne jamais se revoir !), un chromatisme sombre se fait central, enserrant le public d’un romantisme tardif avec les Lieder de Schumann, Hans Rott (tirés des textes de Goethe), Anton Bruckner, Richard Strauss, Hugo Wolf et ses Trois Lieder sur des Poèmes de Michelangelo, et ceux de Gustav Mahler d’après les chansons populaires Des Knaben Wunderhorn (Le Cor enchanté de l’enfant, originellement pour chant et orchestre). Poèmes, chansons de soldats et randonnées aux allures de marches forcées forment ainsi ce programme en lien thématique avec la maison. La saison 22-23 de La Monnaie avait pour thème le surréalisme et la puissance chromatique, 23-24 aborde un horizon plus sombre autour du destin tragique avec pour titre There Will Be Fate.
Fidèle à cette vision de la Maison, Günther Groissböck évite les artifices issus du Biedermeier et des salons (mode de vie calfeutré du siècle romantique), en se reposant sur la nécessaire rencontre entre l’essentiel de l’expression musicale et les profondeurs de l’âme humaine, projetant avec sa voix puissante la musique des Lieder au cœur d’un voyage solitaire, au cœur de la nature. Loin des histoires d’amour et du charme bourgeois de la musique de salon, le programme est centré sur la solitude et les angoisses existentielles, les chants de soldats (Die beiden Grenadiere), ainsi que la mort qui les accompagne.
Témoin et messager des poèmes romantiques, la basse offre au public bruxellois une expérience très physique (tant pour l’auteur que pour l’auditoire qui fait face à une force de voix vibratoire). Tenu droit face au spectateur, Günther Groissböck marque sa présence par une rectitude et une générosité vocale ressentie concrètement par les premiers rangs.
Incarnant les textes avec une puissance virile, la prosodie allemande est marquée, hachée et déclamée avec robustesse. Cette proposition s’oppose à la lecture traditionnelle des Lieder Allemands, souvent empreinte d’une nostalgie et d’un romantisme que Günther Groissböck balaie, préférant l’incarnation plus puissante du registre. Tenant la voix avec force et constance, les premiers poèmes de Schumann sont déclamés, scandés au public avec une force de souffle et une tenue de timbre qui sont par la suite entrecoupées d'inspirations sensibles, moments de retour sur soi.
Préférant mettre en avant l’amplitude de sa voix de basse autoritaire et abyssale, les graves sont pourtant enrobants, vibrants et profonds. Légèrement poussés sur les Lieder de Schumann et d’Hugo Wolf, c'est en opposition totale à l’introduction du récital que le chanteur se transforme et bascule dans un tragique plus intime et concentré au service des Lieder de Hans Rott, offrant une proposition du Geistesgruß (Salut d’un Fantôme) et du Wandrers Nachtlied (Chant nocturne d’un voyageur). Anton Bruckner trouve également en Günther Groissböck une lecture douce et très grave des trois Lieder Im April (En Avril), Herbstkummer (Chagrin d'Automne), Mein Herz und deine Stimme (Mon cœur et ta voix).
La voix épaisse du chanteur appelle alors au calme intérieur et à l’introspection, à la façon d’un guide, encourageant l’inclinaison émotionnelle, au plus proche de l’intime.
Le chanteur l’assure lui-même (dans l’interview liée au programme), interpréter des chansons sombres nécessite une certaine distance émotionnelle afin de rester fonctionnel en tant que chanteur, tout en préservant l'authenticité et l'immédiateté de l'interprétation (dans la puissance de sa violence comme de sa douceur). La beauté émane également des profondeurs de l'abîme pour ceux qui osent y tenir le regard, et Günther Groissböck invite l’auditoire à s’y plonger.
Malcolm Martineau accompagnait déjà ce programme façonné durant l’été 2022, d’abord enregistré dans la Mozart-Saal de Salzbourg. Accompagnant la voix, le toucher du pianiste vient compléter de tempérance la force de la basse. Grand habitué des accompagnements de Lieder, le pianiste écossais propose une lecture des poèmes avec une luminosité et une versatilité acolyte. Complice, il marque les opus d’une touche très légère, apportant une teinte résolument lumineuse à la lecture du chanteur.
Heureux de plonger en compagnie du duo dans les profondeurs des Lieder, le public bruxellois témoigne d’une grande reconnaissance et d’une chaleur d’applaudissements.
Prepare- Deliver- Celebrate DANKE @LaMonnaieDeMunt + @pianomalk pic.twitter.com/LrNp8lLFrh
— Günther Groissböck (@GGboeck) 7 novembre 2023