Béatrice et Bénédict au Théâtre Graslin, sous les flèches siciliennes de Cupidon
À côté du couple amoureux et consensuel formé par la jeune Héro, fille du gouverneur de Sicile, et l’officier Claudio tout auréolé de la victoire remportée auprès du général Don Pedro, celui formé de Béatrice et Bénédict paraît d’emblée bien plus improbable. Les deux jeunes gens, quoique attirés secrètement l’un par l’autre, ne cessent de se disputer aux cours de conversations particulièrement houleuses voire orageuses, une “dynamique” particulière qui inspire des caractères fort campés à cette mise en scène.
Pierre-Emmanuel Rousseau a choisi de conserver le lieu de cette action Shakespearienne à Messine (ici sur une plage) mais où Don Pedro apparaît comme un chef puissant de la mafia auprès de Bénédict, gominé à souhait. Béatrice, femme de caractère et fort indépendante, ne peut se résoudre à ne devenir qu’une épouse de mafieux comme une autre, à s’occuper du ménage et de la future progéniture à naître. Elle se refuse à vivre un amour conventionnel. Pierre-Emmanuel Rousseau -qui signe la scénographie et les costumes, réalisés dans les ateliers d’Angers Nantes Opéra- a élaboré un spectacle vivant, empli d’humour et de rebondissements, qui fait la part belle à des couleurs locales assez éclatantes. Il entraîne solistes et choristes dans une savoureuse chorégraphie fort enlevée et menée tambour battant.
L’aspect mafieux toutefois reste assez discret et ne vient pas se superposer à l’action qui demeure au centre des préoccupations du metteur en scène (quoique le texte parlé a été modifié pour mieux correspondre à la transposition effectuée). Pierre-Emmanuel Rousseau signe ce spectacle, presque sympathique comme une comédie musicale actuelle, mais sans jamais bousculer la merveilleuse partition de Berlioz qui conserve toute sa fraîcheur et ses particularités. Il sait aussi varier les ambiances, comme celle apaisée entourant la fin du premier acte au moment du fameux duo Nocturne chanté par Héro et Ursule.
Sascha Goetzel, Directeur Musical de l’Orchestre National des Pays de la Loire depuis la saison dernière (succédant ainsi à Pascal Rophé) mène sa phalange avec soin, ne se laissant à aucun moment surprendre par les différences de rythmes dont Berlioz a émaillé sa partition. Son bras est ferme certes, mais sa direction se veut en premier lieu poétique et souple. L’ouverture si saillante manque cependant de folie. Le Chœur d'Angers Nantes Opéra, impeccablement préparé par Xavier Ribes, s’avère d’une générosité permanente que le fait de s’amuser en scène semble comme décupler.
Le couple Béatrice et Bénédict, notamment la première, apparaît scéniquement fort crédible et impliqué. Marie-Adeline Henry fait valoir une voix puissante, avec de belles assises et des couleurs variées puissamment expressives. Mais l’aigu est émis presque constamment en force et de façon trop agressive, souvent avec des duretés intempestives qui affectent son interprétation pourtant passionnée de son air où son amour pour Bénédict se révèle.
En Bénédict, la voix du ténor Philippe Talbot manque ce soir de projection et la ligne de chant semble comme contrainte. Son interprétation du Rondo notamment "Ah ! je vais l'aimer, mon cœur me l'annonce" ne déploie pas le panache et la liberté de mise. Il se rattrape dans les ensembles notamment, où sa voix se fait plus précise.
La voix d’Olivia Doray, par sa luminosité et sa souplesse, sied pleinement à Héro. Elle incarne une jeune fille toute auréolée de son pur amour pour Claudio. Marie Lenormand, de sa voix de mezzo chaleureuse et bien timbrée, lui donne une réplique idéale en Ursule dans le duo Nocturne, "Nuit paisible et sereine". Les deux voix s’entremêlent avec aisance et se complètent au service d’une des plus belles pages musicale vocale de Berlioz.
Lionel Lhote connaît bien le rôle de Somarone et son air fameux avec chœur sur les vertus du vin de Sicile. Il met sa voix de baryton de fière allure au service de ce personnage savoureux, sans pour autant le surcharger.
Frédéric Caton illustre le rôle de Don Pedro de sa voix de basse chantante, tandis que Marc Scoffoni hérite du rôle trop court de Claudio. Mais sa voix de baryton s’y fait entendre tout de même avec un timbre affirmé !
Heureusement dans cette histoire et grâce à l’entremise des autres personnages de l’action, comme Héro et sa suivante Ursule ou Somarone et le maître de musique chargé de faire travailler le chœur qui doit se produire lors du mariage, Béatrice et Bénédict finissent par se rapprocher malgré leur caractère opposé. En fait, ce sont deux unions qui clôturent l’ouvrage, dont l’une pour le meilleur et pour le pire.
Le public de Nantes ravi salue sans réserve cette représentation festive Berlozienne. Après Nantes, Béatrice et Bénédict sera présenté à l’Opéra de Rennes en novembre avec l’Orchestre National de Bretagne, puis au Grand Théâtre d’Angers début décembre, toujours avec la même distribution vocale et le même chef.