Apollon et ses muses s’invitent au Festival du Périgord Noir
Loin d’être l’opéra le plus connu de Christoph Willibald Gluck, Il Parnaso confuso n’en est pas pour autant une partition inintéressante. Créée sur un livret de Pietro Metastasio en 1765 (trois ans après l’Orfeo, donc en pleine maturité), l’œuvre a été écrite pour quatre voix de femmes : les quatre jeunes archiduchesses, à l’occasion du second mariage de leur frère Joseph II. Pour l’anecdote, le claveciniste lors de la création n’était autre que le prince Leopold, futur empereur et protecteur de Mozart.
L’intrigue est simple : sur le Mont Parnasse, Apollon réunit les muses Euterpe, Erato et Melpomène afin qu’elles composent une pièce en l’honneur de l’empereur. Mais les trois filles de Zeus débattent tant et tant sur les mérites de leurs arts qu’elles se trouvent prises au dépourvu lorsque leur frère revient annoncer que la cérémonie vient d’être avancée au jour même. Qu’à cela ne tienne : le Parnasse fera acte de présence.
Pour aborder cette pièce d’un style baroque tardif fleurant le classicisme, l’orchestre joue en petit effectif : un pupitre de cordes, un pupitre de hautbois, un basson, deux cors et un clavecin, réunis sous la battue sobre et minutieuse du chef Iñaki Encina Oyón. Tous les musiciens sont jeunes et ont bénéficié d’une formation par une équipe pédagogique composée de Johannes Pramsohler pour les violons et alto, Christophe Coin pour les violoncelles, Jon Olaberria pour les vents, Benoît Babel pour le clavecin, Stefano Rossi pour les cors, et Carlos Aransay pour le chant, tandis que Rita de Letteriis a supervisé la diction de l’italien. Gage de qualité : une véritable entente s’observe au sein de l’ensemble, notamment entre les chanteuses.
Le spectacle donne en effet lieu à deux représentations dans l’abbaye de Saint-Amand-de-Coly, avec deux distributions vocales, sous la baguette d’Iñaki Encina Oyón. La première distribution est emmenée par Inés Lorans en Apollon (soprano), d’une voix fine, gracieusement palatisée et bien ancrée dans la poitrine, lui permettant une certaine aisance sur les vocalises. Marie Rihane, qui reprend le rôle le lendemain, joue des résonances solaires de son timbre, qui sied à ravir au personnage. Son chant associe douceur et souplesse sur les vocalises, malgré quelques aigus légèrement pincés à l’attaque.
Serait-ce parce qu’elle préside à la tragédie, le plus haut des arts ? Melpomène incarne ici la « première des muses », avec deux airs, là où ses consœurs n’en auront qu'un. Milly Atkinson aborde le rôle avec une posture assez timide, voire statique, que contredit totalement sa facilité d’émission au legato soyeux serti d’un agréable vibrato rapide en fin de phrase. Les harmoniques de tête fusent dans cette voix au timbre rayonnant, qui conserve sa couleur de l’aigu jusqu’au grave. Lors de la seconde représentation, Sofía Di Benedetto, plus affirmée dans sa présence scénique, livre une prestation d’une grande maîtrise technique. Sa voix centrée dans les pommettes est bien conduite et se prolonge facilement dans l’aigu sans perdre son timbre.
Euterpe, muse de la musique, semble exiger un profil vocal un peu plus tempétueux, frôlant les graves de mezzo-soprano mais proposant aussi quelques élancées héroïques dans l’aigu. Cela correspond parfaitement à la voix d’Aida Gimeno, projetée avec ardeur mais un tantinet agressive sur les « r » roulés. Le volume ne lui fait pas défaut et sa présence est franche et énergique. Sur les mêmes morceaux, Iryna Kyshliaruk pose une voix riche, à l’aigu puissant mais jamais perçant, car elle prend soin de l’arrondir. Son aisance sur les fioritures laisse entrevoir de belles possibilités dans les rôles mozartiens.
Vient enfin le vrai rôle de mezzo, Erato, muse de la poésie lyrique, assuré par Nicole Franco Ralón et Marie-Juliette Ghazarian. La première est discrète dans son jeu. Ses graves sont profonds et son phrasé développé avec une admirable musicalité. La seconde a plus de mal à se faire entendre dans le registre bas, mais toussotant plusieurs fois elle ne semble pas au mieux de sa forme. Pour autant, sa prestation est très convaincante, servie par un médium lumineux assorti d’un vibrato velouté.
Le public réserve des applaudissements chaleureux aux deux représentations. Seul le second quatuor de chanteuses, cependant, donnera un bis sur le finale de l’opéra. Puis le chef appelle Carlos Aransay, le maître de chant dont c’est l’anniversaire, afin que tous les musiciens le célèbrent en chœur sur scène.