Un Oratorio de Noël intimiste à l'Oratoire du Louvre
L'Oratoire du Louvre est bien choisi pour faire résonner l'Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach également joué dans des temples protestants dès 1734, à Leipzig. Inspirées des Évangiles de Luc et de Matthieu, les six cantates de l'Oratorio de Noël racontent la naissance du Christ, en passant par l'Adoration des bergers jusqu'à celle des mages. Ces six parties sont initialement destinées à être interprétées sur six jours durant les offices, de Noël à l’Épiphanie. L'ensemble instrumental et vocal Gli Angeli, rompu au répertoire baroque, opte plutôt pour une approche allégée de l’œuvre, tant au niveau du contenu que de l'effectif : leur choix se porte sur les première, troisième, quatrième et sixième cantates (un programme complémentaire de celui de Versailles, donc -lire notre compte-rendu ici).
Accueillis par une salle comble, du parterre de la nef jusqu'aux tribunes, les Gli Angeli savent occuper l'espace selon leurs choix : obéissant à la disposition de l'orchestre baroque, la basse continue tenue par le clavecin, l'orgue, la contrebasse et les violoncelles est placée au centre et entourée de part et d'autre des cordes, des bois et des cuivres. Juste devant, sont disposés les huit chanteurs avec, au centre, Stephan MacLeod, tournant sans cesse sur lui-même, à la fois chanteur et chef de l'ensemble. Le tout forme un arc de cercle parfaitement en accord avec la rotondité du chœur architectural du temple.
Stephan MacLeod (© DR)
La puissance tonnante du chœur de la première cantate "Jauchzet, frohlocket !" est quelque peu amoindrie par l'ampleur acoustique du temple qui accentue les résonances cuivrées des vents et martelées des timbales, mais étouffe celles des voix. Néanmoins, très vite, la verve jubilatoire et communicative des chanteurs et instrumentistes l'emporte sur ces menus détails. Menés par les gestes expressifs et enlevés de Stephan McLeod, les chanteurs solistes et leurs doublures portent le texte avec une articulation irréprochable, projetant nettement les consonnes en début et fin de phrases. Si les passages fugués (entrées successives des voix) manquent parfois de clarté, l'ensemble vocal excelle en offrant une couleur grave et tranquille aux douces dissonances des chorals homophoniques (les voix chantent les mêmes notes) comme dans le célèbre Wie soll ich dich empfangen repris à la fin de la première et sixième cantate. Ce même choral fait partie des innombrables collages qu'opère Bach d'une œuvre à l'autre : la même mélodie se retrouve déjà par cinq fois dans la Passion selon Saint Matthieu.
À la fois basse soliste et chef de l'ensemble, Stephan MacLeod confère à l’œuvre une vivacité peu commune en l'incarnant autant musicalement que physiquement. Sa voix au grain généreux sied particulièrement à l'air Grosser Herr, o starker König. Le fondateur des Gli Angeli en offre une version presque opératique : son phrasé sautillant rejoint la rythmique en contretemps tenue par les cuivres. Pour créer un effet de surprise, il va jusqu'à suspendre un peu plus son souffle à la fin du mot "Pracht ", tout en relevant vivement la tête, avant de poursuivre. Sa posture interprétative vient certainement souligner le paradoxe de la naissance du Christ, qui malgré sa magnificence ("Ihre Pracht "), "doit dormir dans une crèche dure ".
Dans un tout autre caractère, le contre-ténor Terry Wey prête sa voix claire aux airs méditatifs de l'oratorio. Chantant la voix d'alto, il surprend par son timbre à la rondeur juvénile. Terry Wey offre un ton émouvant à l'air Bereite dich, Zion, mit zärtclichen Trieben : les mots "den schönsten" et "den Liebsten" y sont comme délicatement déposés. Mais le jeune chanteur bernois surprend encore plus dans l'air pour soprano de la quatrième cantate. Introduit par un interlude au hautbois, d'une justesse parfaite bien que ce soit un instrument d'époque, la voix de Terry Wey prend une teinte proche de l'irréel lorsqu'elle est doublement reprise en écho par le hautbois puis par la voix de Juliet Fraser, la seconde soprano, qui surgit du fond du chœur. Encore une fois, ces procédés confèrent à l'Oratorio de Bach une profondeur dramatique, proche de l'opéra.
Ces interprétations sont d'autant plus marquantes qu'elles s'adaptent de l'absence regrettée de la soprano soliste Aleksandra Lewandowska. La jeune chanteuse polonaise étant souffrante, ses interventions sont tour à tour jouées par la flûte, le contre-ténor et Juliet Fraser dont les aigus cristallins et précis servent parfaitement les contours de l'air Nur ein Wink von seinen Händen (Seulement un geste de sa main).
Malgré des graves discrets, le ténor Makuto Sakurada offre également une interprétation investie des airs et récitatifs. Dotée d'une texture légère et incisive, sa voix s'élance avec une détermination guerrière dans l'air Ich will nur dir zu Ehren leben (Je veux seulement vivre pour t'honorer). Ses vocalises élancées se mêlent parfaitement à la basse continue tressautante et aux doubles fugaces des violons. Cette architecture sonore s'achève dans une joie encore plus brillante qu'au début, guidée vers les hauteurs de la coupole par le doigt de Stephan MacLeod.