En attendant 2024, L’Olimpiade de Vivaldi au Festival de Beaune
Le Festival International d’Opéra Baroque et Romantique de Beaune a décidément une histoire avec L’Olimpiade de Vivaldi. Les fidèles se souviennent en effet que c’est cet opéra qui avait été choisi en 2002 pour célébrer la vingtième édition du Festival, et c’est d’ailleurs de cette représentation qu’est issu l’enregistrement de référence de l’ouvrage, autrefois édité par la firme Naïve, sous la direction de Rinaldo Alessandrini.
C’est à cet autre grand chef d’orchestre vivaldien, Jean-Christophe Spinosi, qu’échoit aujourd’hui l’honneur de diriger la reprise de L’Olimpiade, plus de vingt ans après la redécouverte historique de 2002. Même si l’effectif relativement réduit de l’orchestre – une vingtaine d’instrumentistes au total – pouvait faire craindre que les conditions du plein air (en cette Cour des Hospices) soient défavorables à la diffusion du son, la direction claire et précise du chef, son souci constant de soutenir les chanteurs sans jamais les couvrir, ont raison de l'obstacle acoustique. Énergique mais dénuée de heurts et de violences, discret mais efficace, osant d’audacieuses dissonances aux pires moments du drame, le jeu sobre mais présent de l’Ensemble Matheus est pour beaucoup dans la clarté et la lisibilité d’une intrigue complexe, fort heureusement explicitée à l’aide des surtitres traduits en français accompagnant le déroulement de l’action (drame métastasien, belle histoire d’amour, d’amitié et de pardon ayant comme toile de fond une épreuve Olympique de la Grèce antique).
D’autant que l’ensemble des chanteurs font le nécessaire pour clarifier le rôle et la fonction de leur personnage par une gestuelle et une expression faciale à chaque fois adaptée au contexte et à la situation du moment. Tous véhiculent l’affect et l’émotion ressentis par leur personnage au cours des très nombreux airs qui, dans cet opéra vivaldien très fortement influencé par l’esthétique napolitaine, constituent toute la chair du drame et de l’action théâtrale.
Comme souvent à Beaune, la distribution est constituée à la fois de talents confirmés et de jeunes chanteurs en devenir. Parmi ces derniers, les contreténors Fernando Escalona et Rémy Brès-Feuillet incarnent les deux amis et rivaux, Licida et Megacle. Le premier fait valoir une voix chaude et puissante, aux beaux reflets mordorés capables de nuances mezza voce, et qui gagnera encore à unifier ses registres. Le second, qui a à affronter une tessiture un peu plus aiguë, possède un instrument sain et solide, aux couleurs argentines, et devra encore veiller à varier davantage l’expression pour être tout à fait convaincant.
Malheureusement, l’une des deux voix graves, le Clistene de Jean-Jacques L'Anthoën est visiblement mis à mal par les vocalises et confronté, en dépit d’un matériau vocal de belle qualité, à de grosses difficultés dans la partie plus haute de son instrument. Dans le rôle moins développé d’Alcandro, Matthieu Toulouse sait quant à lui joliment phraser son air du troisième acte « Sciagurato, in bracco a morte ».
Des deux voix graves féminines, se dégage le contralto chaud et voluptueux de Francesca Ascioti, dans le rôle de la belle Aristea objet de toutes les convoitises, l’instrument de Chiara Brunello (en Argene) paraissant d'autant plus noirci. La première vocalise avec goût, élégance et raffinement, la seconde dispose d’une émission plus hachée, même si elle finit par remporter l’adhésion du public lors de son air « Per salvar quell’alma ingrata ».
Quoi qu’il en soit, c’est l’unique soprano de la soirée, Ana Maria Labin (dans le rôle d'Aminta), qui triomphe de cette olympique partition : dotée d’un timbre délicieusement sensuel, avec un léger sifflement qui accompagne son émission, la jeune chanteuse est capable du legato le plus crémeux mais également des intervalles les plus fous et des vocalises les plus hardies qui lui permettent, en fin de première partie, de remporter un triomphe avec sa restitution du redoutable « Siam navi all’onde algenti » déjà immortalisé par Cecilia Bartoli.
Au final, les grands triomphateurs de la soirée sont résolument Vivaldi et son Olimpiade. Le public s'en réjouit et ne peut que se réjouir de voir ce superbe opéra mis à l’affiche en 2024 pour deux productions scéniques, toutes deux confiées à la baguette de Jean-Christophe Spinosi à la tête de son Ensemble Matheus : Nice en avril/mai dans une mise en scène chorégraphiée d’Éric Oberdorff, le Théâtre des Champs-Élysées au moins de juin dans une mise en scène d’Emmanuel Daumas. Une fois de plus, le Festival de Beaune aura été précurseur.