Médée et Jason : parodie baroque à l'Opéra Comédie de Montpellier
Au secours ! Qu’y peut Médée ? Non, cette plaisanterie n’a pas été faite mais le texte reconstitué de cette parodie de Médée (qui n'en suit pas moins l'intrigue de ce mythe), d’après Jean-Antoine Romagnesi émaillé de citations de Corneille et Carolet, réserve de belles surprises qui font toujours autant rire après trois siècles, entre costumes bariolés, maquillages fardés, personnages qui feignent les grands sentiments, mais se révèlent finalement lâches et égoïstes en a parte. La mise-en-scène y joint un peu de modernité : à côté des costumes traditionnels grecs, un Jason posant pour des selfies, une Médée vêtue en toréador gothique, une farandole de satyres en bottines rehaussées, sans compter les nombreux clins d’œil musicaux. L’orchestre se met à jouer subitement un rythme de tango, de bossa nova voire la valse de la Symphonie Fantastique. Somme toute, il s’agit d’une esthétique très « baroque » au sens propre du terme, c’est-à-dire dans la démesure. Sur le plateau, un décor composite (construit dans les ateliers de l’Opéra de Limoges) suggère des tréteaux de théâtre mais aussi l’épave de l’Argo, avec en fond de scène les colonnes du palais de Créon.
Artiste aux multiples talents, Pierre Lebon est à la fois metteur en scène, scénographe (épaulé de Bertrand Killy aux lumières), concepteur des costumes (aidé de Floriane Breau à la confection), acteur et chanteur, en registre ténor-baryton léger, articulé et bien en place dans les polyphonies. C’est lui qui déclame le prologue, affublé d’un énorme masque en carton, puis qui martèle le rythme des danses au tambour. Autour de lui, les chanteurs et chanteuses incarnent des personnages caricaturaux, bien trempés, à commencer par le Jason fat et maniéré de Flannan Obé, ténor élégant à la voix tranchante. Il montre de belles percées en falsetto bien timbré. Sa prononciation a un charme désuet, avec les « r » grasseyés à l’ancienne (d’autant qu’il multiplie les a parte baroques). À ses côtés, Ingrid Perruche joue les jeunes premières en Créuse, poussant des cris et prenant des poses, la main levée et les yeux ébahis. Vocalement, elle démontre sa connaissance du chant baroque, avec des ornementations maîtrisées et fréquemment appuyées de façon burlesque.
Le baryton-basse Matthieu Lécroart incarne un Créon grabataire, sous perfusion, soutenu par ses porteurs. Il joue le chanteur vétéran, avec un timbre voilé, des phrasés saccadés par des halètements, avant de se lever à la surprise générale et de lancer avec ardeur une malédiction sonore contre Médée, sur un long phrasé dramatique. Après quoi, il s’affale à bout de forces.
Il est à regretter que Lucile Richardot n’ait pas plus d’interventions chantées dans la pièce, pour y déployer son médium rugissant et ses graves de poitrine. Elle s’illustre par sa présence scénique, son sens du dramatisme et par son jeu, incarnant un personnage de Médée féroce, qui varie sur des registres allant de la froideur impassible à la folie grimaçante. Sa diction irréprochable vient sceller une performance digne d’une comédienne de théâtre. Pour preuve, elle vient chuchoter son texte à l’oreille, et le public l’entend distinctement.
Eugénie Lefebvre endosse le double rôle des servantes Nérine et Cléone, paysannes bougonnes et mal dégrossies. Son chant contredit cet aspect rustaud : il est conduit avec souplesse, d’un timbre coloré au vibrato feutré émouvant. Sa voix riche sert particulièrement bien l’harmonie des chœurs. C’est elle qui entonne l’élégie finale, comme un rappel de la tragédie. Puis le comique revient en force dans une fête endiablée.
Tour à tour garçons de cour, démons rampants et satyres bondissants, les danseurs Xavier-Gabriel Gocel et Gabriel-Ange Brusson prêtent leurs voix aux polyphonies. Enfin, l’ensemble musical Les Surprises, installé sur la scène, est investi dans le jeu, interagissant avec les comédiens, traversant la scène. Les bois se démarquent dans un duo suave et alangui, puis le violon dans un jeu agile aux accents de musique folklorique.
Clou du spectacle : les musiciens viennent saluer au côté des chanteurs, leurs instruments à la main. La troupe quitte la scène en rejouant une seconde fois le finale sous les bravos de la salle. Quelques fines bouches regretteront la brièveté des pièces chantées, dans ce spectacle qui s’éloigne de l’opéra, mais se rapproche de ce qu’a pu être la parodie baroque.