Theodora de Haendel et la grande tradition des oratorios à Beaune
Comme la veille et comme pour longtemps assurément, hommage est rendu à Kader Hassissi, ce soir en préambule du concert, par Leonardo Garcia Alarcon confiant que ce projet de présenter Theodora, non comme logiquement au sein de la Basilique Notre-Dame de Beaune, mais bien dans la Cour des Hospices, avait été évoqué l’an dernier par les deux hommes. Malgré la disparition prématurée du premier, ce souhait partagé a pu être heureusement mené à terme grâce à la mobilisation de tous les artisans fidèles de la manifestation.
Cet oratorio, avec sa forte dimension chrétienne et ces personnages – la princesse Theodora d’Antioche et le jeune officier romain Didyme récemment converti – qui avancent résolument vers le martyr, marque comme un aboutissement dans la production haendélienne. Sa ferveur et son caractère affirmés parlent encore et toujours aux oreilles actuelles. Le personnage même de Theodora, qui refuse obstinément le sort indigne et l’avilissement que le gouverneur romain d’Antioche, Valens, lui réserve faute d’abjurer sa foi, apparaît toujours aussi moderne, a fortiori dans l’interprétation pénétrante et sensible de la soprano Sophie Junker. La voix s’élève ferme et facile, avec une superbe ligne de chant mais des aigus un peu moins radieux qu’à son habitude. Les duos avec Paul-Antoine Bénos-Djian qui incarne Didymus constituent des moments forts où la musicalité des deux artistes trouve à pleinement s’épanouir et à s’exprimer dans un amour partagé. Paul-Antoine Bénos-Djian (qui remplace ici un autre contre-ténor initialement programmé, Christopher Lowrey) vient auréolé de son interprétation de cet officier Didymus saluée sans réserve lors des représentations de Theodora données au Théâtre des Champs-Elysées en novembre 2021 avec Il Pomo d’Oro (notre compte-rendu). Sa voix, tout en conservant sa fraîcheur, ses accents affirmés, sa propension à exprimer la douceur et l’ineffable, a gagné en ambitus et en largeur. La poésie irrigue constamment ce chant particulièrement attachant.
Dans le rôle du fort méchant Valens, la basse sonore mais un peu abrupte d’Andreas Wolf surprend. Mais de fait, elle convient bien à ce personnage machiavélique et pervers. Le ténor Matthew Newlin fait entendre dans le personnage de Septimius un matériau à la dimension lyrique, porté par un aigu libéré et une ligne de fière allure. Seules les vocalises dans son air d’entrée manquent encore de netteté et de panache.
Même si la voix de la mezzo-soprano estonienne Dara Savinova dans le personnage d’Irene demeure plus modeste en projection, le soin apporté à la variation des couleurs, au phrasé, avec ses graves moirés et cette entrée naturelle dans le rôle marquent sans conteste les esprits.
La direction musicale énergique et généreuse de Leonardo Garcia Alarcon depuis le clavecin, avec ce respect inné de la lisibilité d’ensemble et du phrasé authentique, fait merveille à la tête non de son ensemble habituel, mais du Millenium Orchestra de Namur et ses instruments anciens, phalange d’excellence créée en 2014 et dont le chef assure aussi la direction artistique. Enfin, le Chœur de Chambre de Namur se voit salué, comme à chacune de ses prestations, pour son excellence, absolue. Pour cette Theodora, l’ensemble se déplace dans les différents axes de la Cour des Hospices, créant ainsi comme une ambiance spatiale qui vient plus encore enchanter l’auditeur et relayer avec plus d’envergure le drame chrétien ici présenté.
Malgré l’horaire tardive de fin du concert (1h du matin), le public de Beaune peine -de joie et de satisfaction- à quitter la Cour des Hospices !