Au TCE, "voir Grisélidis, c’est l’aimer"
« Je vais revoir Grisélidis ! » (deuxième phrase du livret), pensent peut-être quelques rares spectateurs connaissant déjà l’œuvre, en entrant dans la salle du Théâtre des Champs-Élysées. Pour la plupart toutefois, cette œuvre est une découverte malgré un enregistrement datant de 1994. Pourtant, comme l’énonce le berger Alain, « voir Grisélidis, c’est l’aimer ».
L’intrigue met en scène la lutte d’une femme pour sa vertu, face aux maléfices du Diable : une sorte de Faust sans la dimension philosophique, mais avec un humour croustillant. Le livret d’Armand Silvestre et Eugène Morand est composé en vers, avec un soin tout particulier donné à la mélodie des mots. La partition de Massenet est orchestralement riche et variée, passant ingénieusement du drame à la comédie et du romantisme au sacré. Elle offre de belles pages lyriques dans différents registres, que ce soit le grand air de Grisélidis ou le duo piquant entre le Diable et sa femme Fiamina.
À la tête du Chœur (dont la très belle prière est à retenir de ses rares interventions depuis les coulisses) et de l’Orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie, Jean-Marie Zeitouni se montre très attentif aux nuances, et construit des nappes sonores délicates et souples. Sur le qui-vive, il se retourne vers Julien Dran quand celui-ci inverse deux mots, afin de s’assurer que le ténor et l’orchestre retombent sur les mêmes pattes.
L’ensemble du plateau vocal offre une diction impeccable. Vannina Santoni apporte au rôle-titre la subtilité de son chant et l’intensité de son interprétation. Sa voix d’épais velours s’allie avec majesté aux graves du violoncelle et de l’alto qui l’accompagnent. Elle sert à merveille la musique de Massenet dans sa prière, lui apportant toute son intensité théâtrale (jusqu’à ses lèvres qui tremblent devant la douleur de son personnage).
Tassis Christoyannis s’amuse à jouer un Diable « bon enfant » : il le fait farceur, facétieux, taquin, rigolard, mutin, malicieux et malin, plutôt que maléfique. Il multiplie ainsi les œillades, les moues pleines de sous-entendus, les sourires entendus et les pas de danse pour exprimer son ravissement (face à ses méfaits ou devant l’absence de sa femme). Il se lève pourtant dans un impétueux torrent orchestral, qu’il domine de sa voix puissante. Il varie les couleurs de son timbre, depuis des ténèbres infernaux jusqu’à la clarté ingénue du diable trompeur.
Antoinette Dennefeld est plus en retrait en Fiamina, ne lâchant jamais la bride de son personnage jubilatoire. Sa voix soyeuse reste en tout cas dynamique, et son phrasé précis dans des ensembles à la rythmique parfois complexe.
Thomas Dolié interprète Le Marquis d’une voix de baryton dense, dont le brillant s’affirme au fil de la soirée et dont le vibrato est rapide. Il parvient à allonger ses phrasés grâce à un beau legato, ce qui ne l’empêche pas d’exposer sa puissance lorsque son personnage prend des accents guerriers.
Dans le rôle d’Alain, Julien Dran expose une vaillance immédiate, ses aigus étant tout de suite sollicités et devant surpasser un large orchestre. Cela le contraint à rester dans une nuance forte sur l’ensemble de ses deux interventions, à l’exception de quelques médiums allégés. Son timbre brillant s’appuie sur un léger vibrato.
Adèle Charvet (Bertrade) accompagne son chant de la main. Son timbre est rond et modelé, son vibrato frémissant, son souffle long. Adrien Fournaison chante la partie de Gondebaut d’une voix ferme et bien émise, au timbre mat. En Prieur, Thibault de Damas dispose d’une voix large au timbre clair et à l’émission légèrement engorgée, qu’il théâtralise volontiers pour porter le sens de son chant.
Le public, qui a laissé résonner le silence avant d’offrir ses applaudissements à l’issue de chaque acte, se montre enthousiaste lors des saluts, applaudissant particulièrement Vannina Santoni, Tassis Christoyannis et Jean-Marie Zeitouni, sans toutefois verser dans une effusion trop démonstrative.
Magnifique Grisélidis au @TCEOPERA #Paris avec le Chœur et lOrchestre #Montpellier #Occitanie dirigés par Jean-Marie Zeitouni @maestroluscious pic.twitter.com/ObN81zDmyk
— Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie (@OONMLR) 4 juillet 2023