La Grange au Lac fête ses 30 ans avec Bryn Terfel et l’Orchestre de Chambre d’Europe
Il y a trente ans exactement, sous l’impulsion du célèbre violoncelliste et résidant de l’autre côté du Lac Léman - Mstislav Rostropovitch - ainsi que de l’homme d'affaires Antoine Riboud, naissait cette salle de concert unique au monde, La Grange au Lac.
Entièrement construite en bois, sur la colline d’Evian-les-Bains, cette salle inouïe de l'architecte Patrick Bouchain s’érige au milieu de la verdure du parc et en fusion complète avec la nature qui l’entoure, notamment avec les arbres qui font partie du décor de la scène. Cet intérieur boisé fait figure de caisse résonante, tel un violoncelle, l’instrument de “Slava” Rostropovitch, renforcé par les pétales d’aluminium du plafond (œuvre de l’acousticien Albert Yaying Xu) produisant une sonorité particulière, régulièrement améliorée depuis sa création. Ces trois décennies du Festival annoncent également à leur tour des aménagements techniques, avec la création de loges et l’élargissement de la scène qui permettra l'accueil des plus grands effectifs, ainsi que la construction d’une nouvelle salle “La Source Vive” dédiée aux formations chambristes, dont l’inauguration est prévue pour l’année 2025.
Après l’ouverture de cette nouvelle édition avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin et Zubin Mehta, c’est au tour de Bryn Terfel et de l’Orchestre de Chambre d'Europe d’animer la scène, dans un programme lyrique et symphonique teinté des notes légères, mélancoliques et tragiques du répertoire classique et romantique. Le baryton gallois met d’emblée le public de bonne humeur, avec une présence scénique remarquée et comique, tel Falstaff dont il chantera un air en se parant d’une panse démesurée (un oreiller sous sa chemise).
Son Don Pizarro est fort (et) dramatique, la voix suit le corps dans la théâtralité du geste avec une énergie foisonnante, un long souffle et des lignes tenues, décrochant les ovations de l’auditoire. L’air de concert de Mozart “Io Ti Lascio, o Cara, Addio” lui permet de déployer ses nuances avec plus de musicalité dans un tempo calme, sur des graves étoffés et un piano soyeux quoique l’expression générale manque de subtilité.
La voix se projette solidement mais reste voilée dans les tutti de l’orchestre, avec un vibrato plutôt intense et des aigus serrés. Cependant, son timbre chaleureux retrouve son meilleur à la fin du concert : avec les deux airs entonnés en bis et sans effort, que sont le chant gallois “My little Welsh home” et “Ah si j’étais riche” de la comédie musicale Un violon sur le toit pour conclure sa prestation couronnée d’applaudissements sonores.
L’Orchestre de Chambre d'Europe dirigé par Robin Ticciati fait preuve d’une grande richesse sonore, jonglant avec habileté entre les différents styles et époques. Les cordes mènent assurément le jeu avec une légèreté rossinienne et une haute précision rythmique qui s’envole dans l’ouverture de Semiramide. Ils ne sont pas pour autant dépourvus d’un sens du drame qui se manifeste dans les méandres orageux de l’ouverture Sturm und Drang (pré-romantisme germanique) de Beethoven avec Egmont. Les pizzicati sont succulents, les flûtes hautement souples dans ces passages rapides et arpégés rendus avec une facilité remarquable. Ticciati ne parvient cependant pas à dompter les cuivres qui tonnent puissamment, parfois au détriment de l’équilibre sonore, notamment avec le soliste. La Huitième Symphonie de Dvořák permet épanouissement et plénitude sonore, assumant le basculement vers une attaque imposante qui se termine en apothéose dans le finale, après un scherzo valsant, particulièrement apprécié du public.
L’Auditorium de La Grange au Lac éclate en fortes et longues acclamations pour les artistes à l’issue de concert.