Triomphe napolitain au Louvre : La Giuditta de Scarlatti
« Naples à Paris. Le Louvre invite le musée de Capodimonte » : telle est l'exposition aux accents méditerranéens qui a été inaugurée au Musée du Louvre ce mercredi 7 juin 2023, à l’occasion également de la visite officielle à Paris du président de la République italienne, Sergio Mattarella.
Le Louvre fête en beautés cette collaboration, en peinture et en musique, avec cette Giuditta à cinq voix d'Alessandro Scarlatti, drame-triomphe, oratorio spirituel en langue vernaculaire. Du violon et de son élégante énergie, Thibault Noally dirige dans cette jubilation d'émotions et de gammes napolitaines son Ensemble Les Accents et cinq chanteurs de l'Académie de l'Opéra national de Paris (avec trois changements par rapport à la version de ce concert présentée l’été dernier à La Chaise-Dieu, déjà avec Marine Chagnon et Fernando Escalona).
Le chef donne de toute sa personne, violon compris, pour conduire toute la vivacité de cette partition, tel un grand Concerto, avec ses couleurs dynamiques, vives, et la continuité des saveurs dramatiques.
Si Marine Chagnon est une Judith timide dans les premières phrases musicales, sa voix de mezzo-soprano montre bientôt sa puissante, au service des reliefs du personnage. Le vibrato reste régulier, les harmoniques riches, mais les messe di voce (conduites de voix sur un même souffle) pourraient être encore plus intenses pour saisir l'auditeur. Elle apporte une élégance scénique à ce concert, donnant un accent théâtral majeur à l'oratorio sur des notes perçantes bien ancrées dans le diaphragme (y compris dans sa robe rouge annonçant le massacre : elle décapitera le général Holopherne pour libérer sa ville de Béthulie).
Si l’époque de la création et le catalogue de Scarlatti rendaient les honneurs aux castrats pour tous les rôles aigus, outre le choix d’une mezzo-soprano dans le rôle-titre, le rôle d'Ozia -Prince de Béthulie- est ici interprété par une soprano. Margarita Polonskaya offre une interprétation délicate, la voix s’exprimant aisément, tant dans les récitatifs que les arias de fureur. Sa voix lyrique reste très souple, les tenues et sons filés gouvernant les phrases dramatiques et les récitatifs. Si le texte italien n’est pas des plus clairs dans la première partie de son interprétation, la prosodie s'améliore progressivement et nettement.
Le contre-ténor vénézuélien Fernando Escalona souligne le caractère antagoniste de son personnage Holopherne par ses postures. Sa voix (en)chante surtout dans les passages de registre où, une fois abandonnées les résonances de tête, l'auditoire peut s'immerger dans cette fascinante voix mixte aux assises solides. Ses vocalises sont intenses comme l'interaction qui s’établit avec Giuditta et leur duo, où le dialogue avec les flûtes rend le moment dramatique encore plus suspendu, est très évocateur.
Le rôle du capitaine Achior est confié au ténor Kiup Lee. Son chant est homogène, sensible et compréhensible, dans le texte et les affects, mais manque de la puissance requise. Sa (bonne) gestion du souffle lui permet de conduire les parties les plus agiles comme celles du legato contrôlé. Le jeu demeure timide, mais s’ouvre parfois de manière plus communicative.
Enfin, Adrien Mathonat est un Sacerdote à la voix puissante, généreuse de l’aigu au grave, que la basse sait bien déployer pour faire vibrer la salle, notamment dans l'air Traditor. Le texte compréhensible offre à la voix une plus grande résonance encore. Son interprétation est également renforcée par sa présence scénique et son adresse aux autres personnages.
Dans ce net jeu à l'italienne entre récitatifs et arias, la dernière scène voit les cinq protagonistes réunis en chœur pour célébrer le triomphe de Giuditta. Le public ovationne les interprètes sur scène, saluant également la musique de Scarlatti, et Naples cœur de Paris.