Vivaldi au Théâtre Grévin : le public fond pour Lea Desandre et Les Accents de Thibault Noally
Le Musée Grévin est célèbre pour ses statues de célébrités en cire (même si elles ne sont plus faites en cire depuis longtemps), mais il abrite aussi un très beau théâtre. Se rendant au récital produit par Philippe Maillard, le public a le plaisir de traverser une partie du musée. Après avoir croisé Michel Drucker, Arielle Dombasle et Carole Bouquet, il est accueilli dans le théâtre par Kad Merad et Franck Dubosc. Tout au long du spectacle, Anne Roumanoff, les Vamps mais aussi Cecilia Bartoli gratifient l'assemblée de leur plus beau sourire, tandis que Roberto Benigni semble vouloir se jeter dans le parterre depuis la loge supérieure. Abritant ces célébrités parfaitement sages et silencieuses, le théâtre de 210 places avec balcon, en forme de fer à cheval et délicieusement kitsch éblouit par ses moulures couleur nacre, ses médaillons bleu ciel, ainsi que ses imposants miroirs.
Facade du Musée Grévin (© Myrabella)
Composé de deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse et un orgue positif, cet ensemble Les Accents montre une envie et un plaisir visibles à jouer ensemble. Il a pourtant été formé récemment, lors du Festival de Beaune 2014, à l’occasion d’un concert avec la mezzo-soprano Gaëlle Arquez. Les nuances instrumentales sont aussi variées que le son d’ensemble offre de richesse. Les archets sont lancés dans de grands gestes qui fouettent les cordes ou bien ils sont un délicat feulement de crin. L’orgue positif agrémente fort agréablement la pâte sonore de son doux timbre d’étain. Cela étant, l’instrument en lui-même occasionne le seul regret imputable à l’ensemble instrumental : ne pouvant maîtriser ses nuances avec autant de finesse que les instruments à cordes, l’orgue est trop fort dans les émouvants pianissimi.
Les traits prestissimo se transmettent avec aisance d’un pupitre à l’autre. Les interludes instrumentaux, et notamment les duos entre le chef-premier violon Thibault Noally et l’orgue sont éblouissants de virtuosité. Généralement, chacun des musiciens n’accomplit pas simplement sa “mission” en jouant toutes les notes en place : ils proposent une vision d’interprète, même dans les passages les plus fougueux. Sous l’impulsion de Thibault Noailly, les tirés d’archet sont francs, les poussés adoucis.
Pour accompagner au mieux la voix de Lea Desandre, les instrumentistes offrent un timbre sombre (en renforçant le registre grave des violoncelles et des contrebasses, mais aussi en travaillant la concentration du son, l’épaisseur de l’archet sur le gras des cordes). Ce registre correspond parfaitement à la voix sombre, parfois même assourdie mais généreuse en air de Lea Desandre. La couleur terrestre reste présente dans l’aigu, mais avec un vibrato qui s’accélère pour alléger quelque peu. Ce timbre, ce registre et ces résonances obscures s’accordent avec le maintien altier de l’interprète. L’expression de son visage a tout le sérieux seyant à ces pièces sacrées. Ce caractère tient à son menton, légèrement baissé, qui assombrit la voix et qui rapproche également les yeux de ses sourcils froncés. L’ensemble paraîtrait presque menaçant, mais il n’en est rien : la chanteuse saura adoucir le propos, lever les yeux au ciel de gratitude et enfin offrir un sourire malicieux au fur et à mesure des morceaux, qui culminent chacun dans un Alleluia réjoui. Ces Alleluia sont d’ailleurs l’occasion pour la mezzo-soprano de montrer tout le volume sonore qu’elle peut offrir, ainsi que les vocalises, broderies, trilles et autres ornements qu’elle multiplie (c’est la tradition dans toute l’histoire de la musique que d’orner le mot Alleluia, pour le bonheur religieux qu’il représente mais aussi car il s’agit d’un mot pouvant être accentué, et donc varié, sur chacune de ses consonnes).
Lea Desandre (© DR)
Le registre grave de Lea Desandre est un parlé poîtriné qui convient à cette musique aussi jouée que chantée. Elle maîtrise déjà l’art délicat du mezza vocce (la voix étant certes diminuée en volume, mais surtout atténuée en couleur). Le Motet « Longe mala, umbræ » est le plus opératique de la soirée : aux instruments qui répètent trois grands accents en forme de coups du destin, mais encore davantage avec le registre vocal stagnant dans les graves puis montant en vocalises, le tout dans ce caractère terrifiant des “umbrae terrores”. La première aria de ce Motet appartiendrait à une voix qu’il faudrait inventer et nommer “contralto colorature” (avec le registre grave d'une voix de contralto et la légèreté des vocalises d’une Reine de la nuit). Comme dans ses autres œuvres, Vivaldi est un maître dans les alternances de caractère. La deuxième aria est ainsi une marche mélancolique, presque funèbre, avant l'allant Alleluia.
Enfin, la chanteuse donne un aperçu de son jeu d’actrice, notamment dans le récitatif « Splende serena, o lux amata » du dernier Motet, où elle lance un bras énergique avant de languir sur les consonnes. Elle resplendit, et avec elle le son, dans ses pommettes saillantes pour l’ultime aria « Respende, bella ».
Ce sera donc un plaisir que de suivre cette jeune artiste à mesure que s’affinera sa technique et notamment dans le déploiement de son jeu sur scène : vous pouvez déjà réserver ici vos places pour entendre son interprétation du rôle-titre d’Alcyone de Marin Marais sous la baguette de Jordi Savall à l’Opéra Comique en avril prochain.