Une autre histoire de Manon à l’Opéra de Massy
Manon de Jules Massenet, œuvre particulièrement touchante et dramatique, "opéra-comique" car il contient des passages de comédie parlée (et certainement pas pour un esprit constamment joyeux) se voit ainsi ici adapté pour un jeune public, arrangé pour un piano et trois chanteurs, en ne gardant que certains airs. Mais si le mélomane ayant déjà en tête l’œuvre originale peut facilement retrouver l’intrigue faite d'épisodes divers, il est peu probable qu’un spectateur non initié parvienne à saisir l’inconstance des passions de la belle Manon, la disparition soudaine de son amant le chevalier Des Grieux devenue abbé, ni même la personnalité à la fois autoritaire et épicurienne du cousin Lescaut.
La mise en scène se veut sobre, avec une forme d’estrade à plusieurs niveaux et des traits de bandes blanches qui forment comme un plateau de jeu, mélange entre échiquier et jeu de l’oie (allusions aux jeux dangereux d'amour et d'argent auxquels se livrent les protagonistes, tels des pions de leur propre destin). La vidéo, projetée sur tout le fond de scène, offre quelques illustrations et atmosphères, laissant voir parfois les personnages en ombres ou d’autres fois des formes plus abstraites et poétiques.
Parfois, les artistes sur scène interagissent avec précision avec ces projections, par exemple en attrapant au vol une lettre pour la lire. Les idées foisonnent, avec un peu d’humour, du symbolisme, une touche de poésie, de l’interactivité, de la couleur vive ou en noir et blanc, des formes géométriques droites ou des nuages… au risque de la multiplication rendant difficile pour le spectateur d'en saisir un fil conducteur, pourtant nécessaire pour suivre les raccourcis de l’intrigue.
Les costumes de Marion Benagès permettent néanmoins d’identifier la personnalité principale de chacun et même certaines de leurs humeurs, en particulier celles de Manon dont les gants rouges accompagnent son idylle avec Des Grieux alors qu’elle les échange avec des gants en or pour fêter son succès aux bras de Monsieur de Brétigny.
La charmante Manon est incarnée par Anaïs Frager au timbre clair avec une pointe de velouté qui sert joliment la prosodie française par un phrasé soigné. Elle demeure particulièrement touchante, même si le spectateur ne peut au demeurant comprendre pourquoi elle exprime sa tristesse en chantant « Adieu, notre petite table » – puisque le modeste appartement parisien, refuge des deux amants, est à peine évoqué.
Le Chevalier Des Grieux est défendu par Léo Vermot-Desroches, ténor sûr et engagé au timbre parfois clair et toujours avec moelleux, offrant de jolies demi-teintes servant des phrasés sensibles et nuancés. Toutefois, son émission vocale pourra gagner parfois un peu en largesse, afin de s’épanouir davantage dans les aigus déjà brillants.
Le baryton-basse Antoine Foulon interprète Lescaut et le Comte Des Grieux avec autorité et profondeur. Son phrasé est un rien cassant mais il l'affirme dans « Epouse quelque brave fille ». Guillot et Brétigny sont tous deux et indifféremment personnifiés par Maxime Cravenne, acrobate contorsionniste mais aussi comédien, impressionnant de souplesse et d’aisance scénique.
L'accompagnement musical peut compter tout le long sur le pianiste Félix Ramos, au toucher impeccable avec de pertinentes et efficientes propositions de couleurs, tout en gardant une présence équilibrée.
Le public massicois, dont beaucoup d’enfants, saluent chaleureusement cette production, dont il s'agit peut-être pour certains de la toute première approche en salle du monde lyrique. Monde de passions et où chacun doit affronter son destin pour vivre les conséquences de ses propres choix…