Autour du Bal masqué de Poulenc : ouverture de saison en fanfare au Centre de Musique de Chambre de Paris
Le Centre de Musique de Chambre de Paris, sous la direction de Jérôme Pernoo, a lancé l’année dernière le pari osé de proposer des concerts sous la forme d’une programmation de cinéma. La soirée compte donc deux séances : à 20 heures, le jeune et remarqué quatuor Hanson livre une version fougueuse du Quatuor opus 59 n°1 en Fa majeur de Beethoven, véritable symphonie de chambre ; après un en-cas au foyer et un duo de violoncelles ‘freshly composed’, c’est à 21 heures 30 le moment de découvrir la troupe du Centre de Musique de Chambre. Le jeune pianiste Antoine Préat s’installe au clavier, dans une tenue non-conventionnelle qui confirme l’intuition des spectateurs : il ne s’agit pas ici d’un simple concert de jeunes talents, tout peut arriver…
Le Bal masqué de Poulenc (photos prises lors de la représentation à La Ferme du Buisson, © Thibault Prioul)
Au milieu des Brouillards de Debussy, hautbois, clarinette et basson font leur entrée sans se préoccuper du piano, et les brumes enveloppantes de la modalité du compositeur cèdent la place à la tonalité caricaturale mais enivrante de Georges Auric. Après le trio d’anches, le piano reprend la parole pour nous faire entendre les Embryons desséchés du Podophthalma d'Erik Satie, joués avec le détachement et l’ironie propres au compositeur (tandis que ses dires sont projetés sur le fond de scène). Entre alors le baryton Jérôme Boutillier, révélation classique de l’ADAMI cette année. Armé d’un portevoix, il entraîne avec lui un bigband étonnant sur le Caramel mou de Darius Milhaud. Le texte hilarant d’absurdité de Jean Cocteau fait évaporer les derniers doutes et installe l’assistance dans le Paris des surréalistes, dont la salle Cortot retient encore les parfums lointains. Sous le chapiteau de boiseries, le timbre chaud du baryton fait résonner un vers qui résume assez bien la savoureuse décadence de ce jazz élégant et désinvolte : « J’ai connu un homme tellement triste qu’il jouait les nocturnes de Chopin sur le tambour ». Après une séquence d’improvisation évoquant l’Arkestra de Sun Ra durant laquelle les musiciens font montre d’une écoute remarquable, suit la Disco-Toccata de Guillaume Connesson, exécutée avec entrain et précision par Bertrand Laude à la clarinette et Jérémie Billet au violoncelle et pantalon zébré. Ces « déguisements fantasques », selon le vers de Paul Verlaine récité un peu plus tard, loin de créer un sentiment d’étrangeté, participent à la réussite de la mise en scène, faite de petits détails, disparates à première vue, unis pourtant par un même esprit de folie en pleine possession de ses moyens. Cet esprit se fait jour à nouveau dans l’impressionnant Hommage à K de Pascal Zavaro, étourdissantes variations sur une comptine que vous reconnaîtrez, alliée à la fantaisie de rythmiques impaires, le tout orchestré sur le marimba par les baguettes de Nadia Bendjaballah.
Le Bal masqué de Poulenc (photos prises lors de la représentation à La Ferme du Buisson, © Thibault Prioul)
Après une dernière pièce contemporaine de Charly Mandon, portée par le violon virevoltant de Ryo Kojima et couronnée d’applaudissements spontanés, le bal est lancé ! Le Bal Masqué de Francis Poulenc est composé sur des poèmes de Max Jacob qui narrent des situations grotesques, oscillant entre le morbide et le satyrique. Jérôme Boutillier, se déplaçant sur une scène modulée par les mouvements chorégraphiés des musiciens et des instruments, déploie sa panoplie de masques vocaux et se fait tour-à-tour prophétique, incantatoire, drolatique ou lyrique. La profondeur lumineuse de son timbre de baryton nous conquiert sur Malvina. Le public est captivé par ce kaléidoscope musical, vacillant entre les salons d’une société proustienne en perdition, représentée par une tonalité dévoyée, et les clubs où se joue ce jazz qui fascine et entraîne les corps dans ses rythmes nocturnes. Avant le finale, la scène se fige pour former un tableau vivant – noir – et, lorsque les projecteurs se rallument, les musiciens sont affublés de masques empreints d’une horreur mélancolique. Sur une habanera aux accents russes, Jérôme Boutillier montre une agilité vocale à la hauteur de l’agilité du poète, qui joue avec les images les plus inattendues pour notre plus grand plaisir.
Le Bal masqué de Poulenc (photos prises lors de la représentation à La Ferme du Buisson, © Thibault Prioul)
Le défi toujours difficile du concert mis en scène est ainsi relevé dans la joie et la bonne humeur par la troupe haute en couleurs du Centre de Musique de Chambre de Paris !