L'Instant Lyrique de Mabl et Marcellier au Comique
Le cycle saisonnier de récitals "L'Instant Lyrique" poursuit son aventure et son parcours, désormais place Favart (après L'Éléphant Paname et la Salle Gaveau). Une nouvelle occasion pour les habitués de ce rendez-vous de se retrouver, et de retrouver ce soir réunies deux chanteuses au parcours parallèle et croisé, comme -très- rarement.
Venant des deux bouts de la France métropolitaine (l'une de Normandie et l'autre de Perpignan), nommée chacune à son tour, l'année dernière et cette année, dans la catégorie Révélation Artiste Lyrique aux Victoires de la Musique Classique, elles se retrouvent à Paris après s'être en particulier trouvées lors de leurs études, au Conservatoire de Bordeaux. Leur professeure commune, Maryse Castets est ainsi la troisième vedette de la soirée, une vedette discrète assise au fond de la salle mais venue expressément (bravant les difficultés de transports en ces périodes de grève).
Retrouvez notre grande interview de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur et celle d'Alexandra Marcellier
Le programme choisi marie solos et surtout duos, témoignant de la richesse du travail effectué aussi ensemble : il se décline en trois parties, au moins autant de genres et davantage de langues encore. Le lyrisme russe (Iolanta et duos de Tchaïkovski, La Fiancée du tsar de Rimski-Korsakov), est suivi par l'opérette viennoise, avant une troisième partie rendant hommage au répertoire du lieu (La Fille de Madame Angot de Lecocq) y compris dans sa rareté (Atala et Rosaline de Villebichot) et même dans un espagnol francophile ("No se, que siento, aquí" de la zarzuela Chateau Margaux, hommage à ce cépage signé Manuel Fernández Caballero). Quatre langues et même six avec les deux bis, deux autres duos : de Norma et de Candide.
Les deux chanteuses incarnent et traduisent avec évidence combien leurs parcours furent parallèles et croisés : dans la complémentarité de leurs voix mais jusqu'à leur expression corporelle. Côte à côte, voix à voix, elles se rapprochent jusqu'à sembler sur le point de réunir leurs deux visages comme elles accolent leur timbre, ou bien au contraire, elles s'éloignent -en restant bien ancrées dans le sol- format un V victorieux tandis que leurs lignes vocales se distinguent. Mais le grave de Mabl qu'elle assoit alors garde de sa douceur nourrie de souffle, la rapprochant du soprano d'Alexandra Marcellier dont l'aigu toujours empli de drame déploie un soutien et une amplitude tragiques qui la rapprochent du mezzo de Mabl.
Les voix s'approchent ainsi, tant en se rejoignant qu'en se reflétant en miroirs, mais elles se suivent et se complètent également. Les corps et les lignes fléchissent alors dans le même sens, roseaux vocaux soufflés d'une même brise lorsque leurs lignes mélodiques et expressives sont en parallèle. Enfin, et comme tout duo où l'amitié touche à la sororité artistique, l'une finit les phrases de l'autre qui reprend les phrases de l'une.
Dans ce programme axé sur les duos, mais se nourrissant de ces fortes identités musicales, les deux chanteuses se séparent pour des airs solistes mais comme pour bien fourbir leurs armes afin de les croiser en se retrouvant. La mezzo allonge le vibrato que la soprano accentue. La première plonge dans les vibrantes couleurs de la nostalgie tzigane en dialogue avec le violoniste invité Yoan Brakha, que la seconde entraîne dans le dynamisme de son phrasé. Les deux chanteuses se répondent alors dans l'esprit et la voix oxymorique réunissant grand lyrisme et versatilité de cabaret. Et de conclure sur de mémorables scènes d'opéra-comique en rivalisant et se crêpant le chignon.
Comme pour laisser ainsi ces deux voix, ces deux artistes déployer leur communion, comme pour ne pas s'y imposer, le pianiste Antoine Palloc conserve ce soir un accompagnement détaché, à l'expressivité très claire, analytique presque (quelquefois pour analyser encore un peu la partition, au bord de l'hésitation).
Confirmant le propos de leur dernier duo : "women are we! Not a man ever born ever could resist", nul ne résiste à ce duo féminin et cet Instant Lyrique est très chaleureusement applaudi.