42nd Street brille de tous les feux de Broadway au Châtelet
Ce 42nd Street est un événement pour de multiples raisons : évidemment et avant tout pour sa qualité artistique, mais également car il s'agit de la dernière production de Jean-Luc Choplin, qui quittera ensuite la direction du Châtelet pour rejoindre La Seine Musicale (nouvelle salle de concert aux portes de Paris dont vous pouvez retrouver tous les détails dans notre article). Après ce spectacle de music-hall, c'est l'Opéra Comique qui inaugurera sa saison 2017 au Théâtre du Châtelet avec Fantasio d'Offenbach. Puis, le Châtelet fermera à son tour pour travaux (un beau passage de relais, donc, entre les deux institutions : retrouvez ici toute la saison 2017 de l'Opéra Comique, de retour Salle Favart dès le mois de mars et réservez dans quelques jours vos places pour l'Opéra Comique sur Ôlyrix).
Immédiatement après les annonces de salle demandant d'éteindre les téléphones, la musique démarre. C'est là un symbole du rythme effréné de la soirée mise en scène et chorégraphiée par Stephen Mear : à peine un morceau est-il fini qu'un autre commence et le texte parlé des interludes est débité à toute vitesse. Le spectacle s'enchaîne à un rythme vertigineux, sans aucun temps de répit et, dès le début, il commence à plein régime : la trentaine d'artistes exécute comme un seul homme un morceau virtuose de claquettes. Dès la fin de ce premier numéro et tout au long de la soirée, le public exulte et éclate en tonnerres d'applaudissements. Du début à la fin du show, les artistes affichent des costumes, maquillages et coiffures impeccables avec des sourires ravis à l'extrême, presque carnassiers. Justement, 42nd Street est un music-hall qui raconte la production d'un music-hall et qui dénonce ainsi l'exploitation des artistes, en montrant leurs conditions de travail et de vie : forcés par de riches producteurs à endurer des répétitions interminables toujours en affichant un bonheur factice pour distraire le public de la Grande Dépression (le spectacle se déroule en 1933). C'est dans cet esprit de distanciation que les interprètes insistent dans l'articulation et jouent avec de grands gestes. Cette interprétation est confirmée lorsque les danseuses sont contraintes de se mouvoir en tenues affriolantes avec des livres et des bouteilles de champagne en équilibre sur la tête, tandis que les auteurs leur chantent : "Restez jeunes et belles si vous voulez être aimées".
La Troupe de 42nd Street au Châtelet (© Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert)
Recruté expressément à Londres, le casting est la fine fleur des interprètes britanniques de la comédie musicale, cela se voit et s'entend. Ces interprètes savent tout faire : chanter, danser et jouer la comédie. Bien que les interprètes soient britanniques, la prononciation est typiquement Yankee, avec même son timbre nasillard caractéristique de la Big Apple. La fosse dirigée par Gareth Valentine est parfaitement dans le style de cette musique riche et entraînante. Tous les pupitres sont virtuoses et swinguent. La batterie rebondit, les cuivres sont éclatants. Les cloches sont angéliques, la harpe suave. Les cuivres éloquents grognent, imitent des canards ou bien parlent avec leurs sourdines wa-wa.
L'élégance masculine dans 42nd Street au Châtelet (© Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert)
Monique Young assume le rôle principal de Peggy Sawyer, la jeune provinciale qui deviendra star de Broadway. Le personnage passe les 2h15 du spectacle à montrer des talents incroyables, avant de pleurer d'épuisement et de tomber dans les pommes. Dan Burton incarne Billy Lawlor, personnage de "ténor" séducteur. Sa voix est plutôt celle d'un baryton, ce qui n'empêche pas les danseuses de se moquer de ces ténors dont la voix est rendue aiguë à cause de sous-vêtements trop serrés. Le metteur en scène, Julian Marsh, est campé par Alexander Hanson. L'élégance de son costume et de sa démarche contraste avec son caractère de tortionnaire. Il exige que ses demoiselles dansent jusqu'à ce que leurs pieds en tombent ; il leur aboie "Demain vous serez une vedette ou une choriste décédée", leur accorde 5 minutes de pause toutes les heures et le luxe de 15 minutes toutes les 4 heures. Concernant sa voix, elle est un velours dans les graves, avec quelque chose de Frank Sinatra qui aurait un vibrato ouvragé. Maggie Jones, personnage co-auteur dans la pièce, a la voix puissante au vibrato parfaitement régulier de Jennie Dale. L'autre auteur, Bert Barry, est joué par Carl Sanderson avec bonhomie et malice. Ria Jones interprète Dorothy Brock, la vedette féminine à la carrière et à la voix en déclin, pourtant élégante et superbe dans ses robes successives (notamment la tenue violette à fourrure d’hermine immaculée). Par amour pour cette star, un vulgaire texan en santiags et chapeau de cow-boy (nommé Abner Dillon et interprété par Teddy Kempner), enrichi dans la vente de caisses à savon investit la fortune de 100.000 $ dans la production du spectacle.
Le dollar surveille 42nd Street au Châtelet (© Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert)
Ce music-hall est rempli de citations du monde de l'opéra. Maggie Jones s'essaye à un air de soprano colorature avec une multitude de vocalises dignes d'une Reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart. Son comparse, Bert Barry emprunte la voix d'un ténor héroïque, en français dans le texte. De même, les danseurs imitent le Lac des Cygnes puis un ballet de Sylphides en ombres chinoises. Quant à l'orchestre et aux ensembles vocaux, ils convoquent davantage les harmonies acidulées et concentrées d'une musique de Walt Disney. Cela pour dire combien cette musique est agréable : chaque note est un ravissement et le bonheur est grand à reconnaître des tubes intemporels comme We're in the money où des enfants en guenilles se réjouissent d'avoir trouvé 10 cents (ce qui, en dollars de l'époque, permettait certes de s'acheter à manger).
Une ingénieuse et cocasse scène de train dans 42nd Street au Châtelet (© Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert)
Peter McKintosh réalise des costumes impeccables et iconiques : les hommes sont l'élégance incarnée avec leurs queues de pies noires doublées de velours violet, sur chemises et nœuds papillons immaculés. Ils sont même coiffés de chapeaux haut-de-forme et manient des cannes à pommeaux d'argent. Les parures féminines rivalisent en somptuosité et leurs tenues étincelantes de diamant en viennent à éblouir le public, après avoir endossé des costumes pastel très 1930. Le décor (également de McKintosh) est un immense hall en briques et en poutres, à la mesure somptueuse et impressionnante du spectacle. Tout au long de l'histoire, des éléments de décors viennent de chaque côté de la scène pour se rejoindre en son centre : le plateau figure ainsi successivement une loge, un immeuble, un salon de thé, un hall de gare (où le metteur en scène vient récupérer sa future star à la dernière seconde pour sauver le spectacle). Ces recompositions de l'espace, sans baisser de rideau ni longs changements de plateaux, sont rendus possibles grâce au remarquable travail de lumière réalisé par Chris Davey. Les projecteurs focalisent l'attention sur l'espace de la scène où se déroule l'action et, de manière générale, ils suivent avec une mécanique d'horloger les personnages.
La naissance de la star Peggy - 42nd Street au Châtelet (© Théâtre du Châtelet - Marie-Noëlle Robert)
En somme, les fans de grands shows à l'américaine ont de quoi être éblouis par ce spectacle fantastique, et même les amateurs du genre lyrique y trouveront intérêt et plaisir. Êtes-vous amateur ou curieux de music-hall ? Partagez vos expériences et vos avis dans les commentaires.