Orphée aux enfers à Angers Nantes Opéra : le beau conte d'Huffman
Jean-Paul Davois, le Directeur de l’Opéra d’Angers et Nantes boucle avec Orphée aux enfers d’Offenbach l’avant-dernière année de son mandat, qui prendra fin en janvier 2018. Une fois de plus, le choix de la mise en scène est judicieux : la production de Ted Huffman (qui a également mis en scène Le Premier meurtre à Lille récemment -lire notre compte-rendu) est à la fois moderne, esthétique et festive, sans tomber dans la réinvention, la simplicité ou la vulgarité. Dans cet univers (imaginé par le duo de designers Clement & Sanôu), l’intrigue prend place dans un palace luxueux dont la Terre est le hall d’entrée. Au fond, un grand ascenseur permet de monter à l’Olympe, salle de réception où l’on s’ennuie fermement, ou de descendre (l’aiguille indiquant l’étage faisant alors plusieurs tours sur elle-même) aux enfers, le lieu festif où se situe le bar.
Sarah Aristidou et Sébastien Droy dans Orphée aux enfers (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Sur Terre, au milieu des autres clients de l’hôtel, un couple (Orphée et Eurydice) se dispute. Chaque fois que les parties parlées cessent et que débute le chant, outil divin par excellence, les simples humains se figent et seuls les solistes continuent à se mouvoir. Aussitôt cette convention posée, Huffman s’empresse de jouer avec, Orphée chipant un serpent à un aventurier de passage (ce dernier s’étonnant bien de constater sa disparition une fois l’air achevé) et Pluton faisant s’embrasser des amoureux. Une fois passé dans l’univers des dieux (c’est-à-dire dès la fin du premier tableau), cette convention n’a plus lieu d’être. L’Olympe dévoile des dieux obèses et dorés qui éprouvent une joie intense à l’idée de descendre aux enfers pour juger du cas épineux de l’enlèvement d’Eurydice par Pluton. Le sous-sol est peuplé d’animaux humanoïdes, parmi lesquels le fidèle serviteur John Styx à l’apparence d’un ours, trois cerbères mais aussi un aigle, des grenouilles, des dindons, etc. formant une partie du chœur. Au-delà des très beaux costumes et des mouvements chorégraphiés très travaillés de leurs interprètes, cela crée du jeu et des situations comiques. Le propre de l’opéra-bouffe est de dévoyer la mythologie pour en tirer une satire sociale. Orphée aux enfers offre ainsi une opportunité inégalée de parler de notre temps en actualisant les dialogues, et de faire vivre l’esprit d’Offenbach : cet aspect est ici peu exploité, malgré la citation des titres de deux brûlots ayant récemment critiqué François Hollande, ou des références à une publicité pour un soda ou au scandale de la FIFA.
Le couple central est formé par l’Orphée de Sébastien Droy, très impliqué scéniquement et gracieux vocalement avec son timbre légèrement barytonnant et sa diction parfaite, et par l’Eurydice de Sarah Aristidou. Après avoir arpenté différentes scènes allemandes, la jeune soprano faisait ses premiers pas sur une scène française d’envergure nationale. Très agile et étincelante dans les aigus (et les suraigus !), elle séduit le public par ses parties vocalisantes. Elle a en revanche plus de mal à placer sa voix dans le registre médium des airs, dans lesquels elle peine parfois à dépasser l’orchestre. Captivant le public de son troublant regard de braise, elle est convaincante dans le jeu, notamment dans la seconde partie où elle se montre particulièrement inspirée (notamment lorsqu’elle cherche Jupiter transformé en mouche du regard, qu’elle adopte des tics d’oiseau ou qu’elle apprend qu’elle deviendra bacchante).
Mathias Vidal dans Orphée aux enfers (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Pluton, le dieu des enfers, bénéficie de l’interprétation de Mathias Vidal, qui aime ce rôle et le montre bien. Il retrouve l’énergie qui était déjà la sienne à Aix-en-Provence en 2009. D’abord affublé d’une livrée de groom, il dévoile de longs cheveux décolorés et des ailes volumineuses lorsqu’il révèle sa véritable identité. Si son jeu déborde d’énergie, cela ne l’empêche pas de ressortir également du lot vocalement, son instrument étant à la fois agile et puissant, mettant en évidence son inépuisable longueur de ligne et son sens de la nuance. Son meilleur ennemi, Jupiter (renommé par Offenbach Baron Ernest de Jupiter, dit Jupin) est interprété par Franck Leguérinel, un grand serviteur de ce répertoire. Très bon comédien, doté d’une intelligibilité parfaite, il utilise sa stature pour poser son personnage et son autorité.
Sarah Aristidou et Franck Leguérinel dans Orphée aux enfers (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
L’œuvre met à contribution une pléiade de rôles de soutien. Doris Lamprecht est l’Opinion Publique (qui oblige Orphée à descendre aux enfers chercher sa femme, bien qu’il la déteste au plus haut point), prenant ici les traits de la technicienne de surface de l’hôtel. La mezzo-soprano est magnifique dans les graves, mais plus fragile dans le registre aigu. Marc Mauillon est Mercure : il interprète son unique air avec vitalité. Malgré le rythme effréné de la partition et son jeu scénique énergique, il garde un timbre clair et éclatant et ne paraît jamais s’essouffler (problème souvent rencontré par les interprètes du rôle). Jennifer Courcier (qui sera Yniold dans Pelléas et Mélisande au TCE en mai -cliquez ici pour réserver) est un Cupidon espiègle et piquant dont la voix de pinçon est assurée et travaillée. Flannant Obé campe John Styx avec un réel talent de comédien, un phrasé élaboré jouant sur les accentuations, et une voix agréable. Lucie Roche, Anaïs Constans, Edwige Bourdy et Mathilde Nicolaus interprètent respectivement Vénus, Diane, Junon et Minerve et apportent leur entrain aux trois ensembles les plus célèbres de l’opéra (leur air d'introduction, le rondeau des métamorphoses et le très fameux galop infernal, devenu l’hymne du French Cancan).
Sébastien Droy et Doris Lamprecht dans Orphée aux enfers (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Le talentueux Laurent Campellone met en valeur les belles pages musicales écrites par Offenbach. Très impliqué, il ne peut d’ailleurs s’empêcher au cours du rappel (alors que le galop infernal est repris par l’ensemble de la distribution, selon la tradition) d’indiquer les respirations, bien que ni chanteurs ni musiciens ne soient en mesure de le voir. L’Orchestre National des Pays de la Loire fait preuve d’une grande musicalité, comme dans le duo d’ouverture entre le hautbois et la clarinette. Le Chœur d’Angers Nantes Opéra joue, (s’)amuse et chante joliment malgré quelques décalages rythmiques par moment. Le public nantais, qui a longuement applaudit les protagonistes, a apprécié cette parenthèse légère et drôle que peut aussi offrir l’art lyrique.
Avez-vous déjà vu ou entendu ce très populaire Orphée aux Enfers ? Faites-nous part de vos joies en commentaires.