Pavol Breslik en récital au Capitole : le voyage et la preuve par quatre
Le programme est divisé en 4 parties avec 4 compositeurs en 4 langues différentes : les Mélodies Tziganes d’Antonin Dvořák en tchèque, des Lieder de Franz Schubert en allemand, quatre poèmes de Victor Hugo mis en musique par Franz Liszt et pour finir (incontestablement une découverte, et visiblement marquante pour la majorité de l’auditoire) des mélodies de Mikuláš Schneider-Trnavský, compositeur slovaque de la première moitié du XXe siècle. La construction de ce programme repose sur de grands moments de poésie et permet au public de découvrir les différentes sensibilités des compositeurs, des langues, avec une partie de l’âme des quatre pays représentés par ces deux interprètes.
Le ténor Pavol Breslik fait montre d’une grande polyvalence dans les différents répertoires abordés : il utilise majoritairement son timbre de façon lyrique, avec des voyelles larges et plutôt couvertes mais restant assez précises et avec suffisamment « d’accroche » dans le palais dur pour que le texte reste relativement intelligible. Si son esthétique est majoritairement lyrique, il sait également faire preuve d’un grand sens de la nuance (indispensable pour le répertoire de la mélodie) et vibrer moins la voix pour donner des piani d’une pureté cristalline. Comme souvent dans l’exercice aussi difficile que celui d’un récital, sa performance est un peu inégale : ses médiums et ses graves sont parfois admirablement clairs et sonores quand il parvient à ramasser son timbre (c’est-à-dire diminuer un peu l’espace à l’intérieur de la bouche, notamment au niveau du palais mou, pour concentrer davantage la voyelle et l’émission) et plus mats quand il laisse ses voyelles couvertes, dans les passages rapides notamment. Ses aigus riches, clairs et sonores conviennent particulièrement bien au répertoire slave et sont généralement très bien amenés, quoiqu’ils puissent manquer de préparation et sonner un peu brusques à trois ou quatre reprises (mais sur 1h20 de récital, il est excusé du peu).
Sur le plan linguistique, il est naturellement très à l’aise dans le répertoire slovaque et même tchèque : tout sonne comme une évidence puissante mais délicate. Son allemand et son français sont globalement très convainquants et compréhensibles quoique souffrant d’une légère inégalité selon les moments. La grande difficulté de l’allemand est dans la précision demandée par l’abondance de consonnes, qu’il faut arriver à placer sur le souffle. Quelques-unes de ces dernières sont omises, mais la précision s’exprime même sur des textes exigeants et raffinés. Certaines voyelles françaises (certes délicates même pour des natifs) sont trop larges pour sonner idiomatiques, et auraient mérité d’être allongées pour faire mieux passer le texte, mais le tout reste relativement clair et compréhensible en dépit de la difficulté linguistique et de la subtilité des textes de Victor Hugo. Enfin, Pavol Breslik est un artiste à l’aise scéniquement, il est ouvert et direct face au public, échangeant son costume pour une tunique traditionnelle slovaque dans la dernière partie du programme.
Malcolm Martineau est un accompagnateur extrêmement attentif au chanteur, faisant preuve d’une grande finesse dans son jeu et donnant l’impression de pouvoir interpréter avec maîtrise tous types de répertoires. Tantôt dans la précision absolue, l’économie de mouvement, la douceur et la souplesse, tantôt dans la puissance, la largeur et le rebondi. Les lignes mélodiques ressortent, il ne couvre jamais le chanteur et le spectre de ses nuances est très large, du plus piano au plus forte. La virtuosité ne semble lui poser aucun problème, que ce soit dans les mélodies de Liszt ou dans Erlkönig (Le Roi des Aulnes) au tempo absolument endiablé. Il semble comprendre la profondeur et la sensibilité de chaque répertoire et fait même montre d’humour dans sa façon malicieuse de jouer et de poser certaines notes, notamment sur la fin de S’il est un charmant gazon.
C’est un véritable voyage musical et poétique qui est ainsi proposé au public du Capitole, mené par deux artistes en connivence, sensibles et généreux. Largement salué par un auditoire tout sourires et applaudissements copieux, le final est l’occasion de nombreux rappels et de deux bis.