Vêpres de Vivaldi pour San Marco à Versailles
L’exubérante œuvre instrumentale d’Antonio Vivaldi, maître de violon et de chapelle à l’Ospedale della Pieta de Venise, ainsi que ses nombreux opéras ont traversé les siècles. Cependant, dans sa passion furieuse pour la musique, les instruments et la composition, le prêtre roux n’a pas oublié ses premières amours : fils d’un violoniste de la Chapelle ducale de la basilique Saint-Marc, le jeune Vivaldi a toujours été familier des somptueuses cérémonies sous les voûtes dorées de la sérénissime nef. Le culte lui doit ainsi aussi un certain nombre d’œuvres sacrées dont des motets destinés à l’Office des Vêpres, quatre d'entre eux formant le programme proposé ce soir sous les voûtes peintes mais non moins superbes de la Chapelle Royale de Versailles, sous la direction de Leonardo García Alarcón avec les ensembles belges dont il est directeur artistique.
Le Chœur de Namur est à l’honneur, avec des passages, puissants voire majestueux. La précision et l’exigence bienveillante de Leonardo García Alarcón –qui dirige activement depuis son clavecin avec un sourire que le spectateur devine même dos tourné– permettent des passages en contrepoint construits et pleinement équilibrés, sublimant les phrases finales systématiques. Le chœur intervient aussi avec simplicité entre chaque intervention soliste pour rappeler également la tendresse de la partition, avec d’illustrer par un chromatisme saisissant le cœur meurtri mais consolé.
Le compositeur vénitien se reconnaît cependant aussi et comme toujours à la virtuosité qu’il réserve aux solistes. La soprano Mariana Flores partage ses airs avec une présence investie, par sa gestuelle et ses regards. Le timbre est brillant, presque trop clair par rapport à ses collègues, et ses phrasés sont légèrement plus durs. La soprano Sophie Junker se montre tout aussi expressive, agile et virtuose, avec une voix agréablement chaleureuse et présente. La mezzo Dara Savinova partage des graves envoûtants en plus de phrasés à la conduite souple qui valorise l’agilité de ses vocalises. Le ténor Valerio Contaldo impressionne par sa présence et sa bravoure affirmée. Son timbre chaleureux sort légèrement lors des ensembles mais sait surtout convaincre. Le baryton Alejandro Meerapfel fait entendre des graves sombres et une voix plutôt large, offrant des vocalises maîtrisées et des interventions en ensembles équilibrées. Enfin, pour quelques interventions, le ténor du Chœur de Namur Frederico Projecto fait entendre un timbre clair empli d’une agréable sensibilité musicale, en plus d’une attention particulièrement agréable au texte.
Dès les toutes premières notes du Dixit Dominus, les instrumentistes du Millenium Orchestra manifestent un enthousiasme et une énergie débordants. Outre une très appréciable précision évitant que le son ne se disperse dans l’acoustique généreuse de la Chapelle, le timbre de l’ensemble se caractérise par un grain d’une certaine rondeur, notamment grâce à la basse continue constituée de musiciens de la Cappella Mediterranea (autre ensemble d’Alarcón). Cette grande effervescence, avec des tempi très rapides, est parfois un peu risquée, rendant de micro-décalages ou de très rares moments de flottements lors des courtes transitions. Toutefois, le plaisir communicatif des instrumentistes et leur niveau crée un dramatisme constamment équilibré, coloré et nuancé.
Les artistes ne font pas attendre l’auditoire pour offrir en bis le joyeux et énergique Lætatus Sum (Je suis dans la joie) puis, devant des spectateurs en grande partie debout, un ultime “Et in sæcula sæculorum” (pour les siècles des siècles). Promesse d’un bonheur et nunc, et semper (pour maintenant et à jamais).