Hérodiade soulève l’enthousiasme au Théâtre des Champs-Elysées
Trop rarement donnée à la scène -les dernières représentations hexagonales datent notamment de 2018 aux Opéras de Marseille et de Saint-Etienne-, Hérodiade possède un souffle dramatique pourtant indéniable et révèle l’une des partitions parmi les plus ardues et singulières de Massenet. Le jeune compositeur sollicite les voix dans leurs extrêmes -il se modèrera par la suite-, notamment pour le rôle du Prophète Jean à l’ambitus vocal rare du contre-ut aux tréfonds du ré grave au troisième acte. Sans être véritablement le ténor héroïque requis, Jean-François Borras délivre une prestation de fière allure avec un chant à la fois ductile et suffisamment puissant, sensible aux nuances et couronné d’un aigu rayonnant. La voix a gagné en largeur certes, mais sans que son beau timbre de miel ne soit en rien affecté. Et son personnage vit pleinement sa ou plutôt ses passions.
Nicole Car possède les moyens d’un grand soprano lyrique. Elle habite le personnage de Salomé avec toute la conviction attendue. La voix séduit à chaque instant par sa luminosité, son phrasé assuré et un timbre épanoui. Ses envolées vers l’aigu traduisent le charme irrésistible conférant au personnage toute sa dimension à la fois de pureté et de passion amoureuse. L’interprétation frémissante de Nicole Car révèle par ailleurs un respect du style et du texte totalement intégré à son chant. À ses côtés, son partenaire et époux à la ville, Etienne Dupuis expose ces mêmes qualités. Son émission vocale haute et rayonnante, son timbre viril et d’une juste plénitude, son accroche du son, ne sont pas sans évoquer les grands barytons français d’autrefois qui triomphaient dans ce rôle typique du répertoire national. Il déploie en Hérode une constance sans défaillir à aucun moment, ce malgré les exigences multiples posées par Massenet.
Nicolas Courjal incarne un Phanuel solide et investi dans son rôle, de sa voix de basse large et si personnelle. Il accentue quelquefois un peu trop les effets au détriment d’une certaine stabilité, mais son interprétation de son air du début de l’acte III "Dors, ô cité perverse" apparaît lourde de sens et de présence. Le duo puissamment dramatique qui suit l’air où le devin Phanuel lit l’avenir dans le ciel et les étoiles pour la Reine Hérodiade -Ekaterina Semenchuk- reste un moment fort de la soirée tant l’intensité expressive et dramatique des deux interprètes apparaît à son apogée. La mezzo biélorusse se singularise par la puissance vocale développée et un engagement de chaque instant. Pour autant, la voix semble désormais comme griffée et la diction s’avère pâteuse, sinon assez exotique.
Le jeune baryton polonais Pawel Trojak s’impose en Vitellius dès son entrée sur scène par son autorité naturelle et des moyens déjà imposants qui l’amènent à la hauteur de ses partenaires. De même, la soprano Giulia Scopelliti enchante par sa jeunesse et une voix aux accents joliment voluptueux dans l’intervention de la jeune babylonienne. Le baryton-basse Pete Thanapat en quelques trop courtes mesures campe un Grand Prêtre autoritaire et imbu de son autorité, tandis que le ténor Robert Lewis déploie une voix étendue, parfaitement posée et aux caractéristiques indéniables dans les émouvants chants religieux du Saint Temple. Ces quatre derniers artistes, dont il conviendra de suivre au plus près les évolutions à venir (en cliquant sur leur nom puis sur "Ajouter aux Favoris" en haut de leurs pages Ôlyrix), sont actuellement solistes au sein du Lyon Opéra Studio.
Les Chœurs de l’Opéra de Lyon se dépassent, dans cet ouvrage qui les sollicite avec la même expertise que pour les solistes, pour atteindre par leur énergie constante et la cohésion des pupitres les exigences de ce répertoire avec épanouissement et plénitude. Le nouveau chef des chœurs, Benedict Kearns, les amène décidément au plus haut niveau. À la tête de son Orchestre de l'Opéra national de Lyon, Daniele Rustioni délivre une interprétation à la fois fougueuse et d’un lyrisme affirmé, mais aussi sensible et très attentive aux solistes. La musique de scène et celle des ballets aux irisations orientales voire typées, semble comme renaître sous sa baguette.
Cette soirée mémorable et comme traversée d’électricité, soulève à juste titre l’enthousiasme du public présent au Théâtre des Champs-Elysées.