Sweeney Todd, comédie macabre à Toulon
Le thriller musical de Stephen Sondheim, Sweeney Todd, sous-titré « Le diabolique barbier de Fleet Street », suit les aventures d’un ancien barbier échappé du bagne où l’avait envoyé un rival amoureux, le juge Turpin. Durant ses quinze ans d’absence, le juge a violé sa femme, qui est devenue folle, et élevé sa fille dans l’espoir de l’épouser un jour. De retour à Londres sous le nom de Sweeney Todd, le barbier retourne chez son ancienne logeuse, Miss Lovett, avec qui il entreprend de se venger. Mais en attendant de parvenir à atteindre le juge, et persuadé que Londres n’est peuplé que de personnes corrompues, il décide de massacrer les clients de son échoppe, qui se trouvent aussitôt transformés en chair à saucisse par Miss Lovett, dont les affaires culinaires peuvent dès lors prospérer.
Jérôme Pradon et Alyssa Landry dans Sweeney Todd (© Frédéric Stéphan)
La mise en scène de ce chef-d’œuvre de la comédie musicale (adaptée au cinéma par Tim Burton) est signée Olivier Bénézech. Elle transforme l’action en un huis clos prenant place dans l’établissement de Miss Lovett. Côté jardin se trouve sa cuisine dotée d’un grand four et d’un congélateur dont s’échappent d’épaisses fumées, et côté cour se trouve la mansarde louée au barbier (l’action s’y produisant n’étant pas visible des loges se trouvant du même côté, celles-ci ont d'ailleurs dû être condamnées pour l’occasion). Afin de figurer les différents lieux dans lesquels l’action se déroule, l’espace scénique est étendu à la salle ainsi qu'aux loges avant et d’astucieux jeux d’éclairages (signés Régis Vigneron) sont utilisés. Cette idée judicieuse met en valeur la partition, qui mêle à plusieurs reprises les voix de personnages situés dans des lieux différents. Les chorégraphies de Johan Nus interprétées par le chœur et les solistes sont lugubres à souhait, mais celle de la danseuse classique (figurant les mésaventures de la femme de Todd durant l’absence de ce dernier) dégage un charme indéfinissable.
Sweeney Todd par Olivier Bénézech (© Frédéric Stéphan)
Après avoir joué une Marseillaise reprise en chœur par le public debout -11 novembre oblige-, le chef Daniel Glet et l’Orchestre de l’Opéra de Toulon entament la partition. L’orgue retentit dans les enceintes du théâtre, signifiant d’emblée le destin funèbre de la quasi-totalité des personnages. La sonorisation, attribut des comédies musicales, est réglée sur un volume élevé, nécessitant dès lors quelques instants pour s’y habituer. L’orchestre parvient à créer des ambiances tantôt festives et tantôt glauques, jouant avec les sonorités pour faire ressortir de la partition les sons mettant en valeur la mise en scène. La vivacité de certains passages (en particulier des ensembles narratifs) aurait toutefois pu être mieux soulignée.
La distribution est emmenée par Jérôme Pradon dans le rôle-titre et Alyssa Landry dans celui de Miss Lovett. Tous deux spécialistes de la comédie musicale, ils ont en commun un jeu scénique abouti ainsi qu’une science de la déclamation rendant leurs dialogues vivants et parfaitement compréhensibles aux anglophones, sans recours aux surtitrages. Vocalement, le premier sur-utilise le rauque de sa voix pour imposer la noirceur du personnage. Ses graves sont pourtant bien posés au naturel et suffiraient à rendre le personnage inquiétant. Coutumier de l’exercice, il utilise le micro pour faire ressortir les consonnes, sa respiration ou des grognements, afin d'accompagner les actions ou les intentions du personnage. La seconde donne un caractère faussement naïf (mais peut-être pas assez déjanté) à son personnage manipulateur, et s’acquitte avec enthousiasme (mais quelques problèmes de justesse) des quelques morceaux de bravoure de sa partition, comme son air d’introduction dans lequel elle vante les démérites de ses tourtes. Leur croustillant duo cannibale, au cours duquel ils énumèrent les qualités gustatives de leurs victimes est un modèle d’humour noir auquel ils prennent un plaisir manifeste, que le public partage.
Sweeney Todd par Olivier Bénézech (© Frédéric Stéphan)
Le juge Turpin est chanté par Maxime de Toledo dont la technique vocale ressort clairement, avec celle de l’Anthony d’Ashley Stillburn. Le premier détient une formation en chant lyrique qui l’a emmené sur des scènes aussi prestigieuses que celle du Metropolitan de New York. Comédien, il est également visible à la télévision et au cinéma. Sa voix est ample et ses intonations dans les passages parlés font penser aux doublages des méchants dans les dessins animés de Disney. Le second campe un jeune premier au vibrato ample et régulier, dont les duos avec Sarah Manesse, interprète de Johanna à la voix fluette et ingénue, sont bien en place.
Maxime de Toledo et Sinan Bertrand dans Sweeney Todd (© Frédéric Stéphan)
Vocalement, la Mendiante de Sarah Tullamore est très bien également. Elle joue la folie à la perfection et l’on s’attache rapidement à ce personnage dont on pressent d’emblée la profondeur. Julien Salvia, pur produit des comédies musicales, est un Tobias à la voix claire et légère. Thomas Morris (qui chantera Monsieur Triquet dans Eugène Onéguine à Nice en février -suivre ce lien pour réserver) apporte un grain de folie à ses deux personnages de Pirelli et de Fogg. Enfin, Sinan Bertrand est un huissier inquiétant à la voix bien posée parvenant à émettre de brillants aigus en voix de tête. Le chœur joue parfaitement son rôle, bien que leur absence de sonorisation crée des déséquilibres avec les solistes et que leur placement dans la salle lors de la séquence de l’asile, sans visibilité du chef d’orchestre, les pousse à la faute en générant d’inévitables décalages rythmiques. Après une œuvre si sombre, l’Opéra de Toulon se devait de programmer un ouvrage plus léger : il s’agira des Noces de Figaro fin décembre.