Virtuosité et émotion d’Ermione, opéra seria de Rossini à l’Opéra de Lyon
Ce dimanche soir, l’Opéra de Lyon concoctait une explosion d’amour : Ermione est en effet un véritable poème d’amour, mais d’un amour tragique, terrible et désespéré. Créé le 27 mars 1819 au Théâtre San Carlo de Naples, puis tombé dans l’oubli jusqu’en 1977, cet opéra est le plus sombre des opéras serie de Giocchino Rossini. Puisant son inspiration dans la pièce Andromaque de Jean Racine, c’est Andrea Leone Tottola qui compose le livret pour le compositeur italien, alors directeur musical du San Carlo : après la Guerre de Troie, Hermione aime son fiancé Pyrrhus, roi d’Epire, qui la délaisse pour Andromaque, veuve prisonnière fidèle à Hector, qui veut quant à elle sauver son fils Astyanax, menacé par les grecs. Dévorée de jalousie et de colère, Hermione charge Oreste, ambassadeur des grecs et follement épris d’elle, de la venger. Son amour reprenant le dessus sur sa colère, elle regrette finalement, mais trop tard.
Alberto Zedda (© DR)
Grand spécialiste de l’opéra italien et de l’œuvre de Rossini, Alberto Zedda est le chef idéal pour cette présentation d’Ermione en version concert, intégrant lui-même dans la partition une série de cadences composées par ses soins. Sous sa baguette énergique et engagée, l’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Lyon accompagnent avec une extrême attention les chanteurs. Après une ouverture dont on ressent (même un peu trop) l’angoisse propre à l’œuvre, les ensembles font preuve de leur équilibre et de leur homogénéité sans faille, ainsi que de leurs belles et respectueuses couleurs et intentions musicales.
Angela Meade (© Faye Fox)
Parce que dans l’œuvre de Rossini, le bel canto n’est pas qu’une ornementation accessoire mais au contraire le discours lui-même, pour reprendre les propos du chef italien, Rossini a besoin de grands interprètes. Une belle et talentueuse équipe a donc été rassemblée pour ce concert. Apparaît d’abord la pauvre Andromaque, interprétée par la mezzo-soprano suisse Eve-Maud Hubeaux avec une véritable présence scénique, une aisance vocale et une intelligibilité parfaite. Suite à cette première scène, c’est dans une éclatante robe écarlate qu’entre la soprano américaine Angela Meade, pour le rôle-titre d’Hermione, acclamée en fin de soirée. Dès ses premières interventions, sa technique vocale impressionne. Elle tient d’ailleurs le public en haleine jusqu’à la fin de son émouvant « Di’ che vedesti piangere », dans l’acte II, largement applaudit et salué par le public… et l’orchestre ! Sa virtuosité vocale, sans aucune démonstration gratuite mais au service de la vocalità -la voix comme transmetteur de l’émotion-, a comme hypnotisé ses auditeurs. De plus, son intelligibilité est superbe, quelle que soit la rapidité du texte. Dans les rôles secondaires, la jeune Rocio Perez mérite d’être remarquée en Cleone, par la projection facile de sa voix belle et assurée.
Dmitry Korchak (© DR)
Le plateau masculin n’est pas en reste. Le ténor américain Michael Spyres est un roi Pyrrhus convaincant. Faisant preuve d’une diction parfaite et d’une belle technique vocale, il dégage une assurance et une sorte d’aisance vocale naturelle. Malgré quelques faiblesses dans les aigus, son air Balena in man del figlio, long et difficile, est très apprécié. Incarné par le ténor russe Dmitry Korchak, Oreste n’a pas non plus à rougir de sa voix maîtrisée, à la fois fine et puissante, et dont la diction est également soignée. Son intervention lors de sa première rencontre avec Hermione est d’ailleurs très applaudie. Dans les seconds rôles, la basse impérieuse de Patrick Bolleire, dans le rôle de Fenicio, est très agréable par son timbre profond et sa clarté. Il en est de même pour le ténor Enea Scala, interprète de Pilade, dont le joli timbre et la puissance font sensation.
Avec pour seule décoration un fond éclairé en bleu lors de l’acte I ou en rouge pour l’acte II -annonçant les tragédies inévitables-, la grande qualité des interprètes, des musiciens et d’Alberto Zedda suffisent pour remplir tout l’espace, permettant certainement même d’apprécier encore davantage les subtilités vocales et musicales de ces grands et talentueux artistes.