Molière et ses musiques par Les Arts Florissants de William Christie à la Philharmonie
Sur la scène de la grande salle Pierre Boulez, deux camps semblent d’abord s’affronter, celui de la musique côté jardin, et celui de la comédie, à l’opposé. Les treize musiciens des Arts Florissants partagent ainsi la scène avec chœur, solistes et danseurs pour la proposition scénique de Marie Lambert-Le Bihan, pensée comme la mise en abyme d’une répétition, tantôt du Malade imaginaire, du Bourgeois gentilhomme ou de pièces plus rares comme la Pastorale comique (dont ne subsiste que la musique). Le tout retrace par la même occasion l’histoire des musiques de Molière.
Dans le rôle du metteur en scène, le récitant Stéphane Facco mène le long du spectacle tout le groupe dans diverses aventures, souvent cocasses, parfois plus poétiques. Prenant ses marques, la petite troupe débute par de nombreux extraits pastoraux du Malade imaginaire composés par Marc-Antoine Charpentier, à la fin desquels il est souligné l’importance de la vraisemblance de la mise en musique dans la comédie, à savoir que pour mieux intégrer le théâtre, le chant se doit d’être interprété par des personnages propres à chanter dans la vie, tels les bergers ou encore les princes et princesses. Car le spectacle intègre le théâtre avec des parties parlées, échanges entre les artistes sur le ton contemporain ou extraits de l’œuvre de Molière. Toutefois la majeure partie du spectacle fait la part belle au chant et à la danse, à parts égales : le chant par le chœur des Arts Florissants et ses solistes, la danse par la Compagnie Les Corps Éloquents (chorégraphie de Hubert Hazebroucq, qui danse également avec un quatuor baroque intervenant régulièrement, alternant ensembles, duos ou solos mettant en lumière l’art de la danse du XVIIème siècle qui se fait rare sur les scènes, mais en mêlant parfois ici quelques mouvements contemporains).
Les tableaux se succèdent, jusqu’à l’entrée des Turcs, unifiés par des chaussettes rouges qu’ils portent en guise de gants (c’est aussi la signature vestimentaire de William Christie, bien qu’il les porte aux pieds : c’est plus pratique pour jouer du clavecin) et de leur célèbre cérémonie. Comme dans toute répétition au stade de la mise en place, sans décor et sans costumes, le groupe fait avec ce qu’il trouve sur scène, allant jusqu’à taper ce pauvre metteur en scène, proclamé Monsieur Jourdain de substitution, avec des archets de violon. Après ces turqueries, c’est tout l’effectif dans un même élan, qui, continuant de jouer, chanter et danser, sort par la même porte pour l’entracte.
Au retour, le spectacle reprend comme il a commencé avec Le Malade imaginaire, cette fois accompagné de la musique de Charpentier, qui a succédé à Lully après la brouille scellant la fin de sa collaboration avec Molière. Pour former un groupement de médecins, chacun enfile sa veste ou sa chemise par les bras, et les chaussettes rouges figurent tour à tour, stéthoscopes, giclées de sang ou collier de médecin reconnu par la profession. Le tout dans un latin parfois mis au goût du jour, citant des références médicales bien connues en temps de pandémie. Le spectacle perd malheureusement un peu en cohérence sur la dernière partie (alternant entre les deux compositeurs), les scènes se joignant avec moins d’évidence, perdant parfois un peu le spectateur dans des références, certes touchantes, à la vie de Molière, mais qui déconnectent de la proposition.
Du côté des voix, celle d’Emmanuelle de Negri, enveloppante, caresse l’auditoire dès les premiers instants de la soirée, et tout du long, grâce à une qualité homogène sur l’ensemble de la tessiture et des aigus portés avec aisance et élégance qui ne manquent pas d’expressivité (comme dans l’air “O, mortelle douleur” de Lully, extrait de George Dandin récemment donné à L’Athénée). L’autre voix féminine de la distribution, celle de Claire Debono est elle aussi riche à tous points de vue et son interprète sait pleinement en modeler les accents, même si la diction manque parfois de précision.
Du côté masculin, Cyril Auvity et Marc Mauillon forment un duo très complémentaire, dans le chant comme dans le théâtre, faisant montre tous deux d’une diction irréprochable, le premier déployant un timbre clair et lumineux, l’autre dans une énergie plus sombre mais non moins éclatante. Dans des interventions plus solitaires et ponctuelles mais non moins malicieuses, la basse Cyril Costanzo s’affirme grâce à sa voix cuivrée et sa silhouette longiligne.
Complétant la distribution par quelques apparitions en trio, David Tricou, Bastien Rimondi et Matthieu Walendzik offrent une prestation investie et aboutie, leurs voix s’harmonisant aussi bien qu’elles conservent leurs identités propres, claironnante pour le premier, douce pour le deuxième et profonde pour le dernier. Virginie Thomas et Juliette Perret sortent également du chœur avec deux voix claires pour tenir quelques rôles avec la même qualité, bien que moins sonores que leurs partenaires. Le chœur dans son ensemble enfin, semble prendre pleinement plaisir à l’aventure et fait preuve d’un équilibre remarqué, avec de grandes nuances dans les nombreux et différents ensembles.
Équilibre ménagé et transmis par les musiciens, accompagnés et dirigés par William Christie depuis le clavecin (dont le son est malheureusement presque inaudible dans cette ambiance acoustique). Joueurs, dans tous les sens du terme, ils prennent parfois part au spectacle par des actions et mimiques, Thomas Dunford au théorbe allant jusqu'à proposer un petit moment rock avec la complicité du comédien Stéphane Facco, énergique de bout en bout, qui clôt le spectacle en chantant lui-même avec le chœur un extrait de Monsieur de Pourceaugnac « Ne songeons qu’à nous réjouir, la grande affaire est le plaisir », plaisir partagé par le public de la Philharmonie qui accueille très chaleureusement les artistes, saluant en ligne sur tout le long de la scène.