Cosi fan tutte à Clermont-Ferrand, l'amour en zone rouge
Il y avait déjà eu Les Pêcheurs de Perles, le diptyque Cav-Pag, et plus récemment La Cenerentola. Place cette fois-ci à Cosi fan tutte pour le retour à Clermont-Ferrand de la troupe Opéra Éclaté, décidément experte dans l'art de faire vivre des chefs-d'œuvre lyriques dans des formats qui n'ont de réduits que la taille de l'orchestre, tant les aspects scéniques et vocaux restent toujours empreints d'un haut niveau de qualité. C'est encore le cas cette fois-ci, avec une mise en scène d'Éric Perez qui mise sur un décor unique, structuré par de grandes parois d'un rouge éclatant, évoquant la couleur des cœurs qui se trouvent ici tourmentés, ou celle de la colère qui viendra gagner ces messieurs en découvrant qu'« ainsi font-elles toutes» ("Cosi fan tutte"). Derrière cette structure figurant comme un "ring", dixit la note d'intention, une passerelle constitue comme un promontoire d'où Don Alfonso vient jouer les grands prêtres de l'inconstance, observant en direct les effets de ses manigances.
Ainsi le metteur en scène entend-il figurer un genre de "laboratoire" où se déroule une épreuve scientifique, et où les deux "docteurs" que sont Alfonso et Despina viennent tirer les ficelles de leurs cobayes respectifs. Une approche qui fait rapidement sens dans cette version d'autant plus théâtrale que les airs sont entrecoupés de dialogues en français, et non des récitatifs en italien. Mais les ficelles, précisément, sont parfois tirées avec une mécanique trop précise, enlevant quelque peu de naturel aux mouvements et à la gestuelle des personnages, dont nombre de déplacements sont bien plus guidés par le souci de la symétrie que par une réelle spontanéité. Mais pas de quoi perturber la lisibilité de cette mise en scène, ni son esthétisme soigné, qui doit beaucoup aux lumières écarlates de Joël Fabing, à la sobriété du décor de Patrice Gouron (avec des fauteuils façon bergère en guise de chaises de laboratoire) et aux jolis costumes de Stella Croce, où se distinguent les quamis et turbans de ces messieurs.
Des corps qui se dénudent
Dans ce dynamique spectacle volontiers teinté de sensualité, avec les corps des deux sœurs qui, de dos, se dénudent pour mieux se vêtir de corsets propres à favoriser la séduction, Ania Wozniak est une réjouissante Dorabella. Le mezzo est d'une belle rondeur sonore, aux teintes chaudes dans les notes les plus graves, et la voix est dotée d'un vibrato qui gagnerait sans doute à s'épanouir davantage (comme dans le grand air du rôle, "È amore un ladroncello"). Aux côtés de cette enjouée Dorabella, Julie Goussot est une Fiordiligi d'aussi agréable qualité, semblant d'abord sur la retenue, mais prenant ensuite une assurance lui offrant de dévoiler une voix ample et sonore aux reflets colorés. Son "Come scoglio", pris à rythme modéré, est d'une belle éloquence dramatique, avec des aigus d'une sonorité propre à justement décrire l'infaillibilité dont fait alors preuve le personnage. Quant à Despina, la pétillante Marielou Jacquard en prend les traits avec une gourmandise évidente, dessinant un personnage tout en vice et roublardise, avec une voix assurée aux mélodieuses intonations. Elle fait sourire aussi gaiement à la vue de ce docteur loufoque venant, avec un haut-de-forme et une fraise grotesque autour du cou, guérir les deux amants avec sa pierre de Mesmer accrochée au bout d'un pendule bringuebalant.
De cette remarquée Despina, le Don Alfonso d'Antoine Foulon est un idéal pendant, avec un personnage ici moins franchement bouffon que joyeusement manipulateur, un jeu de scène tout en mouvement donnant corps à sa voix de baryton-basse tout aussi gaillarde, avec une projection assurée et de chaudes teintes sonores. Mikhael Piccone porte un Guglielmo fringant et expressif, pas peu fier de penser (finalement à tort) que sa Fiordiligi lui est restée fidèle. Brillant comédien, le baryton a aussi une voix au joli relief sonore, dont il fait ici le plus mozartien des usages, avec une émission et une qualité de ligne de chant toujours constantes (contrairement au cœur de ces dames). Enfin, en remplacement de Jean Miannay, souffrant, Blaise Rantoanina campe un Ferrando aussi touchant que folâtre, avec sa voix de ténor au joli timbre et à l'aigu assuré, aussi expressive dans la colère que dans la tendresse, comme dans le touchant "Un'aura amorosa".
À la tête du petit Orchestre Opéra Éclaté, Gaspard Brécourt se distingue par sa direction ample et précise, qui parvient habilement à rattraper de furtifs décalages entre scène et fosse, mais qui arrive surtout à tirer de ses pupitres des couleurs variées et expressives, notamment chez les vents.
La performance globale vaut aux artistes une belle et méritée ovation en fin de spectacle.