Idoménée au Met Opera : Neptune à New York
Le Metropolitan Opera House de New York montre une fois de plus son goût pour les mélanges et les classicismes, particulièrement avec cet opéra de Mozart situé en Crète, après la guerre de Troie, mais dans un contexte romain (le dieu en question est Neptune, et non Poséidon). Le MET se replace aussi avec cette mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle dans une perspective d'époque(s), celle de cet opéra de 1781, empreinte d'"exotique", siècle du Grand Tour et d’une redécouverte fantaisiste des trésors de l’antiquité. La production interroge cette perspective même, avec d’un côté le point de vue de l’Europe des robes à crinolines et des perruques poudrées, de l’autre celui d’un imaginaire de l’Orient entre dieux grecs, statues cassées et chapeaux chinois. Les deux visions se croisent à travers les costumes ou les poses, le crénelé d’une colonne devenant un motif visuel.
Dans ce monde étrange, où les gravures de Rome à la Piranèse servent de toiles de fond de cet esprit si particulier, le chœur prend un rôle clé. Particulièrement nombreux, ils surprennent d'abord par leurs grands mouvements scéniques rappelant King Vidor, servant pleinement de toile de fond scénique, mais aussi vocale, avec engagement et puissance. Les résonances des sopranos sont davantage présentes en écho tandis que les altos assurent une efficace ligne médiane. Ténors et basses leur (et se) répondent avec amplitude mais délaissant un peu la diction. La soprano Amani Cole-Felder et la mezzo Cierra Byrd proposent une interprétation particulièrement précise et tenue de crétoises, notamment dans les aigus, avec résonances harmoniques pour la première et un timbre riche et doux pour la seconde, même si leurs interventions brillent surtout par leur vivacité. Le ténor Manase Latu et le baryton-basse Vladyslav Buialskyi accentuent pour leur part en soldat un travail mutuel sur la musicalité et le texte mais restent plus discrets (le second est comme en écho du premier).
Le chef Manfred Honeck tricote sur la partition de Mozart en collaboration avec les cordes, offrant à chacun une place de choix, même si la fosse devance parfois les voix. Le très haut niveau technique et musical de ces instrumentistes s'exprime notamment dans les pupitres de bois.
Ying Fang propose une interprétation très épurée en Ilia, dans une esthétique davantage de déesse grecque que de princesse italienne du XVIIIe. Le timbre puissant est légèrement vibré, avec une grande souplesse. L’intonation fluide (une difficulté certaine dans les pièces de Mozart) donne à ses parties un caractère baroque presque désuet, mais qui trouve une place de choix dans les récitatifs laissant libre cours à la richesse de ses fins jeux vocaux.
Elettra (Federica Lombardi), est ici une reine rouge puissante et caractérielle, dont les aigus apparaissent parfois tirés. Un peu hésitante dans ses choix musicaux au début de l’opéra, elle prend peu à peu une véritable place dans l’action musicale, avec de larges interventions qui mettent en valeur l’onctuosité de son approche technique.
La mezzo-soprano Kate Lindsey incarne Idamante avec un travail du timbre tout particulier (et assumé) pour ce genre de rôle. La chanteuse perd cependant en puissance, la poésie de ses douces interventions, tout en rondeur, se perdant dans les grands ensembles.
Le roi de Crète et son conseiller dominent la distribution masculine. Michael Spyres installe immédiatement la royauté du rôle-titre. La voix placée déploie des vocalises stupéfiantes d'agilité, avec un timbre tout en simplicité et subtilité.
Paolo Fanale a une présence bien plus discrète en confident Arbace. Son timbre intéressant appuie de jolies ornementations sur un large vibrato (original pour une telle voix légère, qui manque parfois de puissance, d’autant plus à mesure que l’intonation fait défaut). Le grand prêtre, Issachah Savage, n’a qu’une brève intervention, notable pour sa prise profonde de souffle, soutenant une puissance surprenante et qui fait étrangement écho à Scott Conner en Neptune. Celui-ci refuse d'offrir des intonations menaçantes et propose au contraire un dieu doux, au large vibrato de basse, avec un timbre sobre et un choix de terminaisons non pas tenues mais soufflées, comme venant effectivement de la massive statue de pierre qui orne la scène, avant de se perdre dans le vent crétois.
Car c’est bien Neptune lui-même, dans un splendide jeu scénique de voiles et projections, qui aura accompagné tout cet opéra étonnant, et longuement salué par le public soulagé comme les héros : finalement Neptune n’aura pas été si méchant.