Tendre et Vibrant Hommage à Lars Vogt à la Philharmonie de Paris
Devant un grand et beau portrait projeté de Lars Vogt, la soirée s'ouvre sur un hommage à sa mémoire, à sa voie mais aussi à sa voix qui résonne dans la Philharmonie. Cet extrait d'une interview de France Musique (de 2021) est comme un message prémonitoire, le chef soulignant le pouvoir consolateur de la musique et remerciant ses amis musiciens. Amis et consolation, tel est le programme de cette soirée, bien sûr emplie de tristesse mais surtout d'une vibrante vitalité musicale en ce soir où Lars Vogt aurait dû jouer et diriger ici même cet Orchestre dans un programme Mendelssohn : visions et voyages.
Notre Requiem pour Lars Vogt, pianiste et chef d'orchestre
Sans autre forme de discours pour laisser entièrement parler la musique, la soirée se déroule en un hommage sans doute le plus beau qui puisse être rendu à un tel artiste : avec des œuvres chères à Lars Vogt, dont il a donné des interprétations mémorables, avec les artistes (orchestre et solistes) ici réunis.
Certes, et c'est tellement compréhensible que le public ressent la même chose, l'émotion est telle dans l'écho de cette voix in-augurale que les qualités instrumentales mettent du temps à se déployer. Néanmoins les grands contrastes entre la douceur d'un jeu clair et léger, et des élans saisissants, s'offre déjà comme un éloquent souvenir de la patte apportée par Lars Vogt, en l'espace de seulement quatre années et même deux et même moins (Lars Vogt donna son premier concert avec l'Orchestre de chambre de Paris en 2018 et devint leur Directeur musical en 2020, traversant aussi avec eux la crise sanitaire). Suffisant, visiblement et audiblement pour laisser ce souvenir éloquent et vibrant. D'autant que le programme choisi, parcourant un riche spectre esthétique avec Mozart, Mahler, Dvořák, Schumann, Vaughan Williams, Brahms, Schubert/Reger a pour point commun une douceur vibrante et lumineuse, celle des partitions, celle des interprètes de ce soir.
Le chef d'orchestre Daniel Harding en est l'officiant, dans une grande sobriété, avec un recueillement fait de gravité, mais aussi d'une douceur mise au service de l'expressivité, et de l'équanimité. Le porte-parole du soir est le grand ténor et grand ami Ian Bostridge, faisant des textes chantés autant d'hommages et de narrations : Le Cor merveilleux de l'enfant de Mahler qui s'ouvre par "Qui donc frappe au dehors à ma porte ?" et se referme sur "C'est là qu'est ma demeure, ma demeure de vert gazon !" funèbre et champêtre avant de revenir pour un Vaughan Williams empli de vie et de conte : "Nous n'irons plus aux bois les lauriers sont coupés [...] Et la nuit bientôt arrivera" puis "Au revoir, jeune homme, au revoir" pour finir sur le Nacht und Träume (Nuit et songes) de Schubert où l'aigu angélique convoque le timbre d'un enfant de chœur britannique dans la qualité éthérée, avec sa douceur et toujours le phrasé éloquent.
Le chanteur offre toujours cet impressionnant "miracle", celui d'une bouche constamment contorsionnée mais avec une prosodie modèle dans le résultat offert à l'auditoire, émettant des sons infiniment expressifs, alliage de vigueur et de très grande douceur : l'alliage de ce programme et de cette soirée.
Certains sons droits du ténor se retrouvent sous l'archet du violoniste Christian Tetzlaff, mais pour mieux vibrer à nouveau d'un jeu élégant : une expressive valse-berceuse pour ce soliste qui joue en montant sur la pointe des pieds.
Le violoncelle d'Alban Gerhardt leur répond avec la grande délicatesse d'une douceur vibrante, juste ce qu'il faut de "grave" pour être cérémoniel et touchant.
Le pianiste Paul Lewis se fond pour sa part dans le jeu de l'orchestre : le plus bel hommage à rendre à Lars Vogt qui dirigeait souvent du piano.
Ce sont finalement Ian Bostridge et Christian Tetzlaff, puis l'Orchestre et Daniel Harding qui s'en donnent à cœur joie, ceux-là dans des élans populaires emplis de vie, ceux-ci en refermant la soirée et la Deuxième Symphonie de Robert Schumann sur un accord glorieux, les coups de timbales et surtout l'acclamation du public, à tous les musiciens destinés, à travers eux, par eux et pour eux à Lars Vogt.