Chichester Psalms de Bernstein et Requiem de Mozart sortent de l’ordinaire de la Messe à l’Opéra de Saint-Etienne
La quarantaine de choristes maison se montre d'emblée prête à interpréter les Chichester Psalms de Leonard Bernstein, une œuvre à la métrique complexe qui anime le chef d’orchestre Giuseppe Grazioli d’un feu particulier, lui qui auparavant a été notamment formé par Bernstein lui-même (comme il nous le raconte en présentant la saison musicale stéphanoise dont il est Chef principal). D’une gestuelle assurée, sans être toutefois exagérément précise, il assume un tempo plutôt rapide, considérant probablement l’acoustique peu résonante du Grand Théâtre Massenet. Dès le premier mouvement, l’esthétique sonore du Chœur se caractérise par des voix féminines puissantes, dotées d’un vibrato très présent mais qui laisse de la place à la compréhension du texte en hébreu. Quelques passages, comme une zone grise, se font entendre, notamment dans les entrées rythmiques des basses et les pizzicati des violons, mais sont sauvés à la lumière des accents marqués sur les temps. Décoiffant une partie du public de par sa puissance globale, quelques applaudissements sont lâchés à la fin du premier mouvement. L’ambiance se fait plus feutrée, mais sans perdre l'attention nécessaire pour hyper-articuler les syllabes. Le chant est un peu moins rond, mais reste angélique et permet notamment un brillant tuilage avec le pupitre des premiers violons. Le rythme reprend, engendrant quelques déséquilibres de volume mais pas de timbre (notamment dans la subtilité d'un passage a cappella confirmant ainsi les grandes capacités de justesse et d’écoutes mutuelles des chanteurs).
La jeune soliste issue de la Maîtrise de la Loire, Justine Nicota, offre une justesse à toute épreuve, avec un timbre sans vibrato et clair. Le placement est suffisamment large pour couvrir l’espace du théâtre, mais surtout des respirations discrètes et solides assurent à la chanteuse le confort audible de son tour de chant.
Après quelques minutes d’applaudissements, les quatre chanteurs solistes prennent place sur scène pour le Requiem de Mozart. Échappant à l’ordinaire d’une œuvre si souvent jouée dans le monde entier, le tempo pris durant tout ce Requiem est très rapide, une stratégie musicale qui laisse malheureusement dans son sillage quelques micro-décalages au niveau des cordes ou sur les placements de consonnes pour les chanteurs du chœur. Cette version, découlant du choix de ne laisser aucune place au pathos romantique (un des héritages de cette œuvre) et de mettre en évidence une forme de tradition ritualisée de l’écriture des pièces religieuses à l’époque de Mozart, est une originalité qui bouscule les codes implicites de l’interprétation.
Cependant, cela ne semble pas trop perturber la soprano Clémence Barrabé, qui se présente en robe verte à pois noirs, et offre de sa voix ronde aux consonnes bien marquées un binôme fusionnel avec la mezzo-alto Anne-Lise Polchlopek. Cette dernière, vêtue d’une robe scintillante verte et grise à motifs verticaux, soigne un chant à la sonorité moins puissante, mais au timbre clair, ce qui permet au duo, grâce au mélange de leurs timbres, notamment dans le Sanctus, de parcourir un spectre suffisant pour surmonter un orchestre très puissant, notamment par la présence des quatre contrebasses.
Le binôme de chanteurs masculins solistes est constitué par le ténor Sébastien Droy, dont la voix se montre plus discrète et ronde, ce qu'il compense par sa maîtrise d’un vibrato plus ample, et le baryton-basse Guilhem Worms, dont l’aisance dans ses différents registres vocaux, et un vibrato régulier sur une voix au timbre clair, lui permettent d’être audible et aisément compréhensible dans ses différentes interventions musicales.
Le quatuor vocal ainsi formé parvient à une unité intéressante, notamment dans le Tuba Mirum, qui laisse le public suspendu à la musique comme une spiritualité qui s’invite dans ce lieu et dans ce temps.
Durant traditionnellement environ une heure, cette version du Requiem aura duré seulement 46 minutes. Si elle apparaît plus cohérente par une unicité de tempo entre l’Introit et le Lux Aeterna, mettant notamment en exergue les liens musicaux et formels présents dans le Kyrie et le Communio, la question du tempo choisi bouscule certaines traditions musicales, empêchant ainsi la résonance majestueuse du Lacrimosa. Une interprétation clivante qui ne manquera pas de susciter la discussion entre ceux qui soulignent la virtuosité du chœur dans une version rapide et ceux attachés à l’idée que le Requiem est une commémoration et la sublimation d’un recueillement.
De ce concert, le public semble satisfait et l’exprime par cinq minutes d’applaudissements asynchrones puis synchrones, obligeant le chef à proposer un bis, qu’il choisit comme étant le Cum sanctis extrait de la Communio, reprise du dernier texte de cette Messe de Requiem.