Voix engagées à la Philharmonie : “Moving still - processional crossings” de Marta Gentilucci
Moving still est un opéra original, a cappella, spatialisé, à mi chemin entre un spectacle poétique et un concert vocal invitant le public à se joindre à une procession aux côtés de comédiennes et de chanteurs. Il s’articule en deux parties et commence par une déambulation à l’extérieur de la Philharmonie, ponctuée de stations dans différents endroits. Il se poursuit et s’achève dans le studio de cette dernière, Catherine Simonpietri au centre de la salle, une comédienne à chaque coin et les chanteurs répartis en quatre sextuors vocaux entourant le public.
La musique de Marta Gentilucci et la mise en scène d’Antonello Pocetti, associant la voix au mouvement, proposent une réflexion sur la migration, sur les déplacements voulus ou obligés de personnes, soutenue par une symbolique foisonnante.
L’auditoire est tout d’abord plongé au centre d’une manifestation dénonçant les violences faites aux femmes au son de « On ne se taira plus » ou encore « On ne tue jamais par amour », « Céder n’est pas consentir » (qui n’est pas sans rappeler le cri des femmes chiliennes « El violador eres tú - le violeur c’est toi », lors des manifestations féministes en 2019). Puis le chœur se range en colonnes évoquant un déplacement militaire qui se transforme en marche funèbre lorsque les chanteurs se recouvrent la tête avec la capuche de leur manteau noir. La procession peut être également défilé de mode et les costumes signés Maria Grazia Chiuri de la maison Christian Dior participent à la scénographie. Les drapés des longues robes évoquent le chœur antique ce qui, ajouté aux déambulations, propose un visuel fort en lien avec les racines de la musique (« les premiers poètes grecs étaient psalmodiés par des récitants itinérants » rappelle le programme). La symbolique est multiple et le lieu même participe de l’histoire. La structure en aluminium de la Philharmonie offre ainsi un jeu de miroir, invitant le public à passer au travers (et aussi à se laisser traverser par les bruits et autres musiques du parc de La Villette) et à se rendre dans le studio pour la seconde partie.
La voix est au cœur du travail de Marta Gentilucci, revêtant celle des quatre poétesses, Elisa Biagini, Irène Gayraud, Shara McCallum et Evie Shockley qui déclament chacune leur poème dans leur langue respective (italien et français et anglais). « Leur travail sur l’oralité est essentiel, tant dans la création du texte que dans sa transmission, permettant un travail musical en profondeur sur le verbe en tant que son et sur son intégration dans le tissu musical. » Les voix de Sequenza 9.3 apparaissent alors telles des “amplificateurs musicaux”, les chanteurs aguerris de l’ensemble reprenant certains vers des poèmes, accentuant certaines syllabes ou encore soutenant les paroles des comédiennes de nappes sonores mouvantes.
Dans le poème Respirare: passo, pelle, polmone (Respiration : pas, peau poumon) de la poétesse italienne, la voix peine à s’extérioriser et les sss allongés et les kkk bégayés traduisent la difficulté de communication (« Les cordes vocales qui vibrent en vain la fatigue de l’air retenu »). C’est sous forme de dialogue (questions-réponses) que les poétesses Shara McCallum et Evie Shockley interrogent le désir de départ qui peut être « Passage » pour la première (« Toute migration est un oiseau qui prend son envol »), la deuxième prenant la voix d’une prêtresse afin de convoquer toutes les divinités de la mer (qui peut parfois être fatale) pour accompagner les migrants dans leur traversée. Les voix murmurent, halètent et s’intensifient dans « Recoller » d’Irène Gayraud qui donne la parole aux femmes victimes de féminicide.
Si les visages restent impassibles, traduisant l’incapacité à exprimer une émotion, toutes et tous œuvrent dans une communion que Catherine Simonpietri orchestre de main (et de bras) de maître. Rien n’est laissé au hasard et sa gestique précise permet une bonne synchronisation des textes et de la musique. Gestique qu’elle doit amplifier afin d’être vue des quatre coins de la salle et qui parfois, dans ses gestes d’appel, peut revêtir une certaine brusquerie.
Le public adhère immédiatement aux propositions multiples de l’œuvre et de sa réalisation, pluralité résidant déjà dans le titre : Moving still - « en mouvement sans bouger » ou « en mouvement, toujours », ou encore. Les voix engagées dénonçant la misère humaine touchent, le silence suivant invite le public à un ultime déplacement vers leur domicile respectif.