Le Philadelphia Orchestra, Yannick Nézet-Séguin et Angel Blue ouvrent la saison de la Philharmonie de Paris
À la demande de Yannick Nézet-Séguin et d’Olivier Mantei, Directeur général de la Philharmonie, ce concert de rentrée est dédié à la mémoire du chef Lars Vogt tout récemment disparu. Un concert exceptionnel d’hommage sera également organisé prochainement Salle Pierre Boulez en lien avec l’Orchestre de chambre de Paris que dirigeait Lars Vogt.
Trois compositeurs forment l’essence même du programme proposé par The Philadelphia Orchestra et son chef Yannick Nézet-Séguin, soit en première partie des œuvres américaines de Samuel Barber et de Valerie Coleman avec le concours de la soprano Angel Blue, puis après l’entracte, la Symphonie n°3 dite Héroïque de Ludwig van Beethoven.
Yannick Nézet-Séguin a pris en charge cet orchestre depuis une dizaine d’années maintenant -Nathalie Stutzmann a été nommée dernièrement à ses côtés comme Cheffe invitée principale- sachant lui insuffler une personnalité affirmée et le placer aux premiers rangs des meilleurs orchestres du monde. Sa direction électrisante de la symphonie Héroïque vient aujourd’hui le réaffirmer haut et fort. Dédiée à l’origine à Bonaparte du fait de l’admiration éphémère de Beethoven à l’égard du Révolutionnaire (admiration déchirante, puis déchirée quand il se fera Empereur), puis rebaptisée "à la mémoire d'un grand homme" une fois la désillusion intervenue, cette symphonie en quatre mouvements créée à Vienne en avril 1805, se distingue de fait par ses hardiesses nouvelles et le souffle qui l’anime (hardiesses et souffles qui animent ce soir l'orchestre et se transmettent visiblement à l'auditoire). Que ce soit avec l’Allegro con brio d’entrée marqué du sceau de la vaillance et de la conquête, puis la ténébreuse Marche Funèbre à laquelle succède le mouvement Scherzo plus animé avant un Finale en forme de triomphe, la direction musicale de Yannick Nézet-Séguin s’avère à la fois flamboyante et très nuancée, sans qu’à aucun moment n’intervienne une baisse de tension ou d’émotion.
L’auditeur est transporté de bout en bout de l’exécution et le fait savoir avec un vif enthousiasme à l’issue du concert. Mais la réaction de ce dernier est tout autant chaleureuse pour la partie consacrée à la musique américaine. Knoxville: Summer of 1915 pour soprano et orchestre d’une durée de 20 minutes environ, composé par Samuel Barber en 1948 sur un poème de James Agee se déploie en rhapsodie au lyrisme somptueux (fruit d’une commande particulière de la grande cantatrice américaine Eleanor Steber qui la créa à Boston sous la baguette de Serge Koussevitzky). Ce poème évoque les souvenirs d’enfance du poète et romancier James Agee dans la petite bourgade de Knoxville dans le Tennessee, dans une sorte de dialogue entre l’adulte qu’il est devenu et l’enfant qui résiste en lui. Au bonheur ancien et fragile succède une modernité trop informelle que l’adulte semble rejeter au nom de l’innocence perdue et de la perte de sa famille. Plusieurs courts mouvements, quelquefois dissonants, viennent ainsi se succéder avant un retour au calme et à l’acceptation du destin en forme de bénédiction. Yannick Nézet-Séguin obtient de l’orchestre tout un panel de couleurs variées au sein d’une lecture qui vise à l’équilibre plein et entier avec la soprano soliste. Angel Blue (portant vocalement bien son nom) déploie une voix souple et d’une fraîcheur éclairante, d’une ampleur infinie, aux graves assurés et au legato parfaitement maîtrisé. Les aigus rayonnent sans effort au sein de la vaste salle de la Philharmonie. La sincérité de son interprétation ajoute la touche de majesté à sa technique vocale de premier ordre. C'est de fait à l’attention directe d’Angel Blue (et à la demande de cet Orchestre et de son chef) que la compositrice "afro-américaine" Valerie Coleman a composé This Is Not a Small Voice en cette année 2022 (ici donnée en création française), en partant d’un thème assez identique et d’un texte de la poétesse et militante Sonia Sanchez. Cet hommage fort et poignant au Sud-Américain, à la charge émotionnelle évidente, est lui aussi traversé par le thème de l’enfance et de l’amour au sein d’une communauté marquée par la discrimination subie et la résilience. Ce poème symphonique assez court (une dizaine de minutes), mais d’une densité marquante, entremêle tous les instruments de l’orchestre à égalité avec la voix de la cantatrice : ce n’est certes pas une small voice -petite voix- qui s’exprime ici, pas même une voix seule mais les voix unanimes d’une communauté toute entière ! À la lecture frémissante et d’une belle amplitude sonore du chef d’orchestre, s’ajoute Angel Blue encore plus concernée qui passe par l’expression de tous les sentiments humains, de la colère à l’émotion la plus profonde qui amène la cantatrice au bord des larmes. Elle est vivement applaudie par le public présent.
Le chef offre en bis une composition orchestrale de la première compositrice classique afro-américaine ayant obtenu une reconnaissance notable : Adoration de Florence Price (1887-1953). Cette page plus lyrique et apaisée vient conclure une soirée placée sous le signe de l’excellence et de l’intelligence.