Un Don Giovanni Satanique au Château de l'Emperi à Salon de Provence
La mise en scène d'Alessandro Brachetti utilise habilement un espace restreint. Une estrade est installée dans l'angle de la cour carrée du Château de l'Empéri, un lieu offrant une acoustique exceptionnelle. Des plaques de plexiglas serties dans des cadres métalliques entourent l'espace scénique, offrant des reflets de lumières colorées, en particulier rouge sang, au moment des derniers instants pathétiques de Don Giovanni. Quelques meubles et objets illustrent les différentes scènes : par exemple des candélabres autour du Commandeur assassiné et une petite table agrémentée de victuailles durant le festin final de Don Giovanni.
Le texte en français est habilement projeté sur le mur du Château au-dessus de la scène.
Les costumes scintillants aux couleurs choisies évoquent le XVIIIe siècle. Donna Anna et Don Ottavio sont vêtus de noir, car en deuil. Don Giovanni en habit clair durant le premier acte, porte un superbe costume de satin rouge vif pour son ultime repas avec le Commandeur et sa descente aux enfers, en harmonie avec les éclairages du décor.
Le rôle-titre est incarné par Marzio Giossi, baryton à la voix puissante et timbrée, qui affirme son autorité avec des nuances d'une grande amplitude, une articulation et une rythmique précises. C'est un personnage diabolique, roulant des yeux cernés de noir, fascinant ses protagonistes. Luca Gallo remplace Claudio Ottino absent pour raisons de santé. Son timbre large aux paroles compréhensibles et à la ligne vocale bien articulée, incarne un Leporello aux sentiments variés, plein d'humour dans l'air du catalogue, avec des vocalises agiles, portées par une respiration ample et soutenue.
Donna Anna est interprétée par Mihaela Dinu, exprimant sa douleur d'une voix touchante et naturelle au phrasé soigné. Les vocalises fusent avec naturel et fluidité. Don Ottavio est incarné par le ténor Alejandro Escobar. Le texte est très compréhensible. Sa voix haut placée est parfois un peu raide, mais très nuancée, avec de superbes crescendi.
Scilla Cristiano interprète Zerlina avec une voix fraîche et fruitée, dont le médium est charnu, mais les aigus brillants. La ligne vocale est nettement articulée, les vocalises sont légères.
Filippo Polinelli est un Masetto au chant nuancé, avec des graves généreux et de la précision sur le plan rythmique. Dans les notes tenues, le souffle ne se relâche pas.
Renata Campanella présente une Donna Elvira à la voix puissante et souple, timbrée dans le grave, aérienne dans les aigus. Les vocalises fluides coulent sans effort, avec une justesse irréprochable. Juliusz Loranzi campe un commandeur aux intonations variées. Les graves sont profonds, le souffle est soutenu, l'utilisation du vibrato subtile et les notes détachées prégnantes. Néanmoins, le personnage manque de charisme face à un Don Giovanni aussi satanique.
Il n'y a pas de grand chœur dans cet opéra de Mozart, les voix des solistes se mêlent alors de façon harmonieuse et équilibrée dans des formations réduites et complexes, en quintette dans Viva la Liberta (finale de l'acte I), en osmose avec l'orchestre, grâce à la direction précise de Stéfano Giaroli. L'orchestre Sinfonica Cantieri d'Arte est dirigé avec efficacité par le Maestro italien Stefano Giaroli. Dès l'ouverture, l'orchestre est nuancé, précis sur le plan rythmique, soulignant les audaces harmoniques de cette partition, aux passages parfois dramatiques. Le chef d'orchestre est assis au clavecin numérique, juste sous la scène, assurant d'une battue précise la direction des instrumentistes et des chanteurs, tout en jouant l'accompagnement des récitatifs. Dans le cas présent, les récitatifs sont particulièrement dynamiques, expliquant habilement la progression de l'action. L'effectif est réduit à un seul instrument par pupitre. Les cordes sont situées à la gauche du chef d'orchestre, les vents et les timbales à sa droite. Néanmoins, la masse orchestrale est dense, respectant parfaitement l'équilibre entre les parties vocales et instrumentales.
Malgré une fin de spectacle très tardive, l'opéra ayant commencé à la tombée de la nuit, une ovation accueille les artistes. Le public frappe dans les mains et tape des pieds pour acclamer les chanteurs, et entonne même, à la demande du chef d'orchestre, un "joyeux anniversaire" pour Jacques Bertrand, créateur du festival.