Cure de jouvence avec L’Enfant et les Sortilèges à l’Opéra de Lyon
Déjà dans le métro de Lyon, il suffisait de suivre les familles pour se rendre à l’Opéra. L'enfant et les sortilèges, la fantaisie lyrique de Maurice Ravel, d’après le livret de Colette, par sa durée (moins d’une heure) et son sujet, est toute choisie pour une première fois à l'opéra. Il y avait donc beaucoup d’enfants, mais aussi de nombreux adultes non habitués ou nostalgiques de souvenirs musicaux de leur enfance. Heureuse coïncidence, l’illustrateur et réalisateur Grégoire Pont, spécialisé dans la création de spectacles musicaux, est aux manettes de la soirée, aux côtés de James Bonas pour la mise en espace.
L'enfant et les sortilèges par Grégoire Pont et James Bonas (© Jean-Pierre Maurin)
Lorsque le rideau s’ouvre, le public découvre l’orchestre, sur scène, derrière un écran fin qui sert de support au décor. C’est même plus qu’un décor mais un univers dans lequel nous plonge le réalisateur parisien grâce à la projection de ses dessins qui interagissent avec les gestes des chanteurs. Pour que l’immersion soit complète, les effets lumineux s’invitent parfois jusque dans la salle, avec une invasion de chiffres autour des spectateurs ou le ballet des grenouilles sur les balcons et les murs. Une brève allusion est faite à l’absence du Père, vraisemblablement mort au combat (comme un écho à Maurice Ravel qui composa cet opéra peu après le traumatisme de la Première Guerre Mondiale). Par des effets de lumière, le sang de ce père semble s'écouler durant le duo des chats, comme une justification de la violence de l’Enfant.
Afin d’interagir au mieux avec les projections, les costumes des interprètes sont très simples, uniquement agrémentés d’accessoires lorsque la vidéo n'est pas suffisamment explicite quant aux traits des personnages : une casquette à l’envers pour l’Enfant rebelle, un drap pour les mouvements enflammés du Feu, une robe fine pour la Princesse ou un déguisement absurde pour le Professeur d’arithmétique.
L'enfant et les sortilèges par Grégoire Pont et James Bonas (© Jean-Pierre Maurin)
Essentiellement en noir et blanc, particulièrement lors de la première partie, les dessins projetés laissent toute la place aux sublimes couleurs de l’orchestration de Ravel, délicatement appliquées par l’orchestre de l’Opéra de Lyon, dont Martyn Brabbins tenait le pinceau. Bien que sur scène et non dans la fosse, le chef britannique sait maintenir l’équilibre, rarement rompu, afin de permettre toute intensité ou douceur des interprétations vocales.
La mezzo-soprano Katherine Aitken est un Enfant convaincant, à la fois débordante d’énergie et émouvante, notamment lors du chant suivant le départ de la Princesse. Cette dernière, incarnée par la soprano Rocio Perez, qui interprète également le Feu et le Rossignol, fait démonstration de ses qualités bel cantistes, malgré un accent espagnol parfois prononcé. Le fameux duo des Chats, par la mezzo-soprano Catalina Skinner-Moreno et le baryton Pierre Héritier, est apprécié par un public particulièrement amusé. C'est aussi le cas un peu plus tôt, lors du duo de la Théière, le ténor André Gass, et de la Tasse chinoise, la mezzo-soprano Eléonore Pancrazi, qui partage, comme récemment à Nancy (lire le compte-rendu de l'Heure espagnole de Ravel), la scène avec le baryton-basse Thibault de Damas. Ce dernier parvient à partager les douleurs de l’Arbre, joliment accompagné du chœur d’hommes. Les interventions des chœurs sont belles, malgré quelques imperfections d’ensemble. Certains choristes restant plongés dans leur partition paraissaient effectuer un remplacement de dernière minute, tandis que d’autres parvenaient à se détacher de leurs pupitres. Leur mérite est alors à saluer, la partition étant difficile !
L'enfant et les sortilèges par Grégoire Pont et James Bonas (© Jean-Pierre Maurin)
Pour Grégoire Pont, L’Enfant et les Sortilèges est l’œuvre la plus complète de Maurice Ravel, réunissant adultes et enfants pour une heure d’émerveillement continu. Le défi est relevé : de nombreux enfants ont profité de l'occasion pour plonger dans le monde fantastique de l’Opéra. Certains, moins jeunes, se sont quant à eux replongés dans les tendres souvenirs de leur enfance !