Fastes festifs pour Mariage royal à Versailles
Aucun document n’atteste précisément des œuvres jouées lors des célébrations autour du mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche. Seuls quelques témoignages sont conservés sur lesquels se base Vincent Dumestre pour composer ce programme flamboyant et imaginer ce qu’auraient pu être les festivités du moment.
Le concert, créé l’été dernier à Saint-Jean-de-Luz (ville où eut lieu le mariage royal) puis enregistré à l’automne à Versailles, se divise en deux parties : la première dans la Chapelle Royale, la seconde dans la Galerie des Glaces d’où le public peut admirer un feu d’artifice venant achever les festivités.
La sonnerie pour les trompettes du Roi de Lully ouvre le bal tandis que les résonances grandioses de l’orgue de Louis Couperin et de Guillaume-Gabriel Nivers célèbrent le mariage. Lully invite les délégations à entrer en procession au son des cornets et des tambours, et des fameuses castagnettes pour la maison d’Espagne.
L’hymne O filii et filiae de Jean Veillot ainsi que le Motet pour la Paix Jubilate Deo de Lully illustrent le fait que ce mariage eut une portée politique importante puisqu’il scella la paix entre la France et l’Espagne en guerre depuis des années. Les réjouissances ont ensuite lieu dans la Galerie des Glaces où est entendu un extrait de l’opéra Xerse de Cavalli qui fut donné au retour des mariés de Saint-Jean-de-Luz. S’ensuit une chanson d’André de Rosiers célébrant la paix franco-espagnole, le tout finissant au son des castagnettes avec le réjouissant « Dos zagalas venian » extrait de Celos aun del aire matan de Juan Hidalgo.
Pour cette restitution imaginée des noces royales, Vincent Dumestre concocte un programme mêlant solennité et allégresse où la rigueur musicologique s’allie à l’enjouement musical. Il s’appuie sur son ensemble instrumental le Poème Harmonique composé de musiciens hors pairs, notamment Lucas Peres (viole de gambe), Jérôme Huille (violoncelle), Victorien Disse (théorbe), Sara Agueda Martin (harpe) et Elisabeth Geiger (orgue et clavecin) qui ensemble, assurent un continuo solide très à l’écoute. Les deux premiers violons Fiona-Emilie Poupard et Myriam Mahnane démontrent aisance et liberté, tandis que les cornettistes Adrien Mabire et Benoît Tainturier auraient pu faire partie des trompettes du Roi tant leur son est juste et affirmé.
Le Chœur La Tempête, habituellement dirigé par son chef Simon-Pierre Bestion, enchante de par sa précision permettant une juste compréhension du texte, un son homogène et brillant ainsi qu’une dynamique rythmique constante aucunement altérée par la résonance généreuse de la Chapelle Royale.
Vincent Dumestre s’entoure également de cinq solistes avec lesquels il poursuit sa collaboration (tous ont participé à un de ses projets dans l’année). Placés sur le devant de la scène dans la Chapelle Royale, les chanteurs redoublent d’attention afin de synchroniser leurs interventions avec l’ensemble orchestral et choral notamment dans le Magnificat de Cavalli comprenant de nombreuses ruptures rythmiques.
La soprano Ana Quintans possède la double qualité baroque d’émettre sa voix sans vibrato, au plus près de la déclamation, et de garder une rondeur de son sur toute la tessiture. Sa force expressive émane dans le motet Lully et sa vitalité dynamise ses interventions dans la pièce espagnole.
Si la voix de la mezzo-soprano Victoire Bunel peine quelque peu à trouver sa place dans la Chapelle royale, elle fait mouche dans l’extrait du Xerse de Cavalli, teintant l’air « Lasciate mi morire » de couleurs et de nuances infinies dans une expressivité touchante.
Le ténor David Tricou possède le registre de haute-contre à la française idoine pour ce répertoire (ténor aigu, utilisant le registre de tête pour le haut de la tessiture). Avec beaucoup d’énergie (pouvant être parfois accompagnée d’une certaine tension) il invite à « paslite » (chanter des cantiques) en même temps que son chant se nuance sensiblement dans le Magnificat de Cavalli, à l’évocation de la miséricorde du Seigneur.
La voix de ténor de Serge Goubioud opère le lien entre les dessus et la basse dans une certaine rondeur. Il semble beaucoup s’amuser à chanter la chanson d’André de Rosiers « Après une si longue guerre » (sur l’air de la complainte de Mandrin), d’une déclamation et d’une présence réjouissantes.
La voix de basse de Virgile Ancely parvient directement à l’auditoire tant elle est richement timbrée et dénuée de toute altération. Assumant solidement son rôle de soutien harmonique, il exprime également les diverses inflexions de la musique de Cavalli avec sensibilité.
L’immersion à la Cour Royale semble totale ce soir jusque dans le protocole du placement du public, les différentes catégories de spectateurs étant clairement distinctes (la catégorie Doge, après un cocktail dinatoire, s’installant sur des chaises dans un carré réservé, le reste du public prenant place debout après avoir attendu trente minutes en bas des marches menant à la galerie des glaces). Cependant, à en croire la force des applaudissements, aucune distinction n’existe quant au plaisir et à l’émerveillement ressentis tout au long de la soirée.