Simon Boccanegra à l’Opéra de Liège, symboliste antique
Toute joie sur terre est un charme mensonger. Le cœur humain est source de larmes infinies.
La force des décors magistraux (art-déco, antiques, symbolistes et mystérieux), réalisés par Gary Mc Cann habitué des ateliers de la maison, s'allie à cette histoire intemporelle et humaniste. Figure de l’errance, Simon Boccanegra voit la vie lui réussir pendant que son monde sentimental s’écroule. Cet abandon émotionnel le place ici dans des espaces infinis, entourés des éléments naturels violents (notamment la mer en toile de fond), tandis que la lumière frontale du soleil entoure le caractère brutaliste d’une architecture de pouvoir. La musique vient se loger en des interstices lumineux et chromatiques baignant de couleurs plus oniriques le béton de bâtiments socialistes abandonnés. Les costumes de Fernand Ruiz très temporellement situés détonnent d'autant plus, par des tenues bouffantes en velours à manches gonflées, avec l'équilibre antique et minimaliste du décor.
La scène qui évolue autour d’une tournette plonge l’action dans des contrastes d’ombres et de lumière, de chaleur et de froideur, en opposition avec le sujet de scènes violentes (quoiqu'elles aussi nourries par des tendresses humaines). Ce jeu des oppositions vient exacerber la complexité de l’argument de la pièce, en accord avec la musique modelée et souple sous la direction de Speranza Scappucci. Sa conduite présente, comme à son habitude, une finesse remarquée. Le geste ample et mesuré de la cheffe porte une musique très précise, cependant moins palpable et relativement plus feutrée (certains moments d’intensité étant plus ouatés et ne tissant pas pleinement le lien des émotions verdiennes avec les solistes).
Sur scène s’agite la foule des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège (préparés par Denis Segond). Majoritairement masculine au début de l’opus, la phalange chorale s’ouvre à des voix féminines, offrant un accord magistral à l’ensemble plébéien qui vient faire le lien entre les rondeurs de l’orchestre et la riche distribution vocale.
George Petean marque le rôle-titre avec une performance maîtrisée, sans danger ni prise de risque, mais par son charisme et son timbre de voix altier. Vif, direct, son fort baryton s’enrobe avec noblesse et une certaine facilité de registre.
D'une voix riche, ample et déployée, Federica Lombardi incarne la figure féminine emblématique d'Amelia (pour sa prise de rôle et ses débuts dans la maison). Face à tant de voix masculines, la justesse cède à la fragilité notamment dans les transitions les plus directes, mais elle déploie dans les moments plus solitaires la brillance de la voix claire, avec élégance y compris dans le tragique.
Riccardo Zanellato (Jacopo Fiesco) a une voix profonde, sombre et puissante. Le vibrato très contenu du chanteur italien lui permet de déployer sa présence dans le tragique et même d'affirmer le caractère autoritaire d'une voix cuivrée, constante et tranquille.
Le belge Lionel Lhote, grand habitué des planches de la maison personnifie Paolo Albiani d'une manière très personnelle, s'imposant avec une liberté naturelle à la mesure de sa voix généreuse, vive, précise et large.
Autre belge de la production, le ténor Marc Laho (Gabriele Adorno) fait sonner l'aria avec clarté bel cantiste, y compris par la présence affirmée de son timbre serré.
Roger Joakim interprète Pietro avec confiance (malgré la dimension secondaire du personnage), de sa voix sombre, gutturale et flexible. Deux solistes issus des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège complètent le tableau : Xavier Petithan avec la direction un peu formelle de son rôle (de Capitaine), et Anne-Françoise Lecoq avec la confiance de sa voix chaude en servante d'Amelia.
L’opus s’achève sous les applaudissements d'un public chaleureux, soulignant particulièrement la performance de la direction musicale.