Platée brille de mille feux au Palais Garnier
Au sein de cette comédie lyrique ou ballet bouffon en un prologue et trois actes, tous les arts de la scène se trouvent adroitement réunis par Jean-Philippe Rameau et Adrien-Joseph Le Valois d'Orville (auteur du livret) afin d’égayer, divertir, mais aussi faire réfléchir, le public. Le chant et la danse s’harmonisent pleinement et surtout en complète équivalence. Rameau et son librettiste, poursuivant une tradition déjà établie, portent à la scène des animaux afin de mieux poser un regard satirique voire presque inquisiteur sur la société des hommes et plus précisément ici via celle des Dieux. Tous ces enjeux sont rendus par l’éloquence esthétique de Laurent Pelly (par ailleurs créateur des costumes), Chantal Thomas pour les décors, Laura Scozzi pour la chorégraphie, Joël Adam pour les lumières et Agathe Mélinand pour la partie dramaturgique.
Le Prologue révèle une haute volée de fauteuils rouges directement inspirés de ceux du Palais Garnier, bientôt submergée par le va et vient incessant des intervenants, ce dans un désordre apparent mais en fait totalement maîtrisé. Ce décor unique s’entrouvre ensuite pour faire apparaître le royaume des marais et des eaux dans lequel Platée règne sur le réjouissant peuple batracien composant ses sujets. Des algues et des mousses viennent recouvrir pour partie les fauteuils.
Pour son mariage supposé avec Jupiter, Platée toute apprêtée apparaît dans toute sa gloire sur un char d’apparat pour mieux être rejetée ensuite, une fois bernée, dans les profondeurs de ses marais où elle va ruminer sa vengeance. Laurent Pelly impulse au spectacle une dynamique qui jamais ne se relâche, une effervescence de chaque instant sans omettre de bien caractériser les différents personnages en permettant à chaque artiste d’user de son originalité, de son inventivité. Ses superbes costumes contribuent pour beaucoup à la singularité du spectacle, dont celui de La Folie, composé de feuilles imprimées de musique, que cette dernière va allégrement arracher au cours de ses interventions déjantées.
Les divertissements dansés réglés par la chorégraphe particulièrement astucieuse Laura Scozzi ne cherchent pas la reconstitution d’origine. Bien mieux, ils s’inscrivent par leur variété et leur inventivité dans une verve permanente et jouissive qui démontre une écoute attentive de la musique de Rameau. Exigeante et sans relâchement, sa chorégraphie bénéficie d’un ensemble de danseurs de premier plan, auquel le public réservera une juste ovation en fin de spectacle.
S’éloignant du catalogue rossinien qui constitue le socle habituel de son répertoire, Lawrence Brownlee s’empare du rôle de Platée avec une sincérité désarmante et un engagement scénique qui brise toutes les conventions. Sa composition savoureuse toute emplie de poésie, d’amour et réjouissante à la fois frappe par sa modernité et l’utilisation de mimiques toujours justes. Au plan strictement vocal, par la facilité de son émission et l’ambitus du registre aigu, il domine avec aisance et naturel sa partie, utilisant également la partie grave de sa voix avec habileté. De plus, il déploie une prononciation française de grande qualité et toute de clarté, sans presque l’ombre d’un accent, veillant à tout moment au respect du style et des intentions du compositeur. L’accentuation des « oi » à la batracienne par Lawrence Brownlee apparaît ainsi toujours savoureuse et se pare d’une variété constamment renouvelée.
A ses côtés, Julie Fuchs, déjà présente lors de la reprise de l’ouvrage en 2015, apparaît encore plus à l’aise aujourd’hui dans ce rôle de La Folie dont elle souligne toute l’incongruité, la démesure, se déplaçant sur scène dans une sorte d’ahurissement permanent en se mêlant à la danse ou se plaçant sur l’avant-scène pour mieux diriger elle-même l’orchestre. La voix, par sa souplesse et son art de la vocalise, son intelligence interprétative, donne toute sa saveur à cette Folie pas si douce que cela.
Incarnant Platée il y a peu au Théâtre du Capitole de Toulouse, Mathias Vidal ne fait qu’une bouchée du rôle de Thespis d’une voix parfaitement aguerrie à ce répertoire, affrontant avec vaillance et précision les vocalises du rôle. Nahuel di Pierro outre un Satyre, occupe le rôle de Cithéron avec sa solidité coutumière et le matériau vocal généreux du rôle.
Pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, Reinoud van Mechelen campe un Mercure de grande classe, avec une pointe d’accent qui ajoute ici à la dimension du rôle. Sa voix de ténor passe la rampe avec une belle efficacité et son timbre ensoleillé confère au personnage sa pleine déité.
Le ténor Marc Mauillon compose un Momus désopilant et fantaisiste, avec toujours ce sens du style approprié se conjuguant à une projection en salle remarquable.
Jean Teitgen fait entendre tout l’éclat détonnant de son imposante voix de basse en Jupiter, face à la Junon survoltée d’Adriana Bignagni Lesca, large mais flexible voix de mezzo-soprano au timbre dense et fourni.
Enfin, dans le double rôle de l’Amour intervenant au prologue et de Clarine, la suivante de Platée, Tamara Bounazou séduit par la clarté de sa ravissante voix de soprano et l’exactitude de phrasé. Son interprétation de l’aria de Clarine « Soleil, fuis de ces lieux » est un ravissant moment de recueillement au sein de la représentation.
Marc Minkowski et son Orchestre des Musiciens du Louvre ont assuré la totalité des représentations de cette Platée au Palais Garnier depuis la présentation de la production en 1999. Évitant toute emphase inutile et dirigeant avec amour et précision la musique de Rameau, le chef peut se fier en toute confiance aux musiciens de son orchestre pour trouver la plus juste expressivité musicale et l’harmonie qui en découle. Il ne laisse rien au hasard. Au-delà de l’habitude de diriger régulièrement cet ouvrage, Marc Minkowski semble encore s’émerveiller de la beauté inhérente à cette fabuleuse partition. Aussi à l’aise dans les instants sérieux que dans les divagations batraciennes, l’excellence des Chœurs de l’Opéra (préparés par Ching-Lien Wu) est également saluée.
Un triomphe vient saluer cette représentation qui dégage une énergie bienvenue et salutaire. La représentation du 21 juin, jour de la Fête de la Musique, sera retransmise en direct en France et en Europe dans 200 cinémas partenaires de l’Opéra national de Paris.