Enivrant Bourgeois gentilhomme à l’Opéra Royal de Versailles
Molière et Lully, surnommés à leur époque ‘les deux grands Baptistes’, concoctèrent pour la création de l’œuvre à Chambord en 1670 une satire enlevée et piquante des contradictions qui traversaient leur époque, notamment les fantasmes des bourgeois comme Monsieur Jourdain, issu d’une famille de drapiers et se rêvant gentilhomme (noble de naissance).
Denis Podalydès résume avec clairvoyance le personnage central : « La capacité d’étonnement et d’émerveillement de notre Bourgeois est sans limite. Augmentée du désir amoureux, de la haine de sa condition bourgeoise et de la passion d’être un autre, elle lui fait braver tous les ridicules, de sorte qu’à travers mille folies comiques, devenu « Mamamouchi », avatar extrême de son extravagance, il parvient malgré tout à ses fins, un court instant seulement, célébrant, réunissant et confondant les Arts dans un dépassement comique et poétique dont il est à la fois la dupe et le triomphateur. » Le Sociétaire de la Comédie-Française et metteur en scène (également habitué des scènes d’opéras) signe ici une production solaire et roborative, restituant l’intégralité du spectacle : le texte de Molière et la musique de Lully se répondant en une alchimie complexe et entraînante.
Les décors d’Éric Ruf sont constitués d’immenses rouleaux de draps en fond de scène qui tiennent lieu d’architecture domestique et rappellent les origines du rôle-titre. Les costumes remarqués de Christian Lacroix traduisent le contraste marqué entre bourgeoisie laborieuse-uniforme et aristocratie ostentatoire-colorée à l’extrême.
La troupe réunie par Podalydès réjouit le public par son homogénéité et la justesse de son jeu. Au premier plan, Pascal Rénéric incarne Monsieur Jourdain avec une énergie folle, aux mille facettes, certes victime de son délire mais émouvant dans son désir d’apprendre et attachant jusqu’à ses frasques les plus débridées. Isabelle Candelier campe Madame Jourdain de manière sobre mais très déterminée, franche et terre à terre avec beaucoup de conviction.
Tous les autres assument avec bravoure et finesse leurs rôles, aussi bien Julien Campani en Maitre de musique mondain ou en Dorante enflammé, Jean-Noël Brouté en Covielle farceur, que Manon Combes en Nicole hilare et hilarante.
Christophe Coin dirige avec inspiration les intermèdes de Lully en autant de ponctuations désaltérantes parfaitement intégrée aux scènes parlées, depuis sa basse de violon, secondé par son Ensemble La Révérence et notamment par François Guerrier au clavecin qui soigne des récitatifs précis et vifs. Tous les interludes sont défendus avec engagement et savoir-faire, et les instrumentistes de l’ensemble font éclater leur virtuosité, toujours au service du rythme et de l’enjeu théâtral.
Cécile Granger restitue un air de cour (probablement de Lambert) avec l’assurance certaine de son phrasé soigné, et d’un timbre gracieux, tandis que le Haute-Contre de Romain Champion lui répond avec des aigus bien maitrisés et un médium étoffé, par une sérénade finale exécutée de façon fort émouvante. Le ténor Jean-François Novelli intègre pleinement à l’ensemble sa voix plus ronde et son phrasé habile, tandis que le baryton retentissant de Marc Labonnette, aux aigus cuivrés et au médium opulent campe un grand Mufti mémorable lors du sacre final du Grand Mamamouchi où se succèdent marches solennelles, canzonettes italiennes pétillantes, sérénades suaves et grands ensembles comme Lully, en (re)fondateur du goût français, savait les réaliser.
Mention spéciale est aussi attribuée aux saluts aux danseuses Windy Antognelli, Flavie Hennion et Artemis Stavridis (chorégraphiées par Kaori Ito), omniprésentes et virevoltantes, qui rehaussent d’un cran le rythme endiablé du plateau pendant les trois heures de spectacle.
Emmenés par Christophe Coin, les acteurs et les chanteurs entament avant le noir final un chœur bien nommé « Quels spectacles charmants, Quels plaisirs goûtons-nous ! », que le public approuve avec une ovation sonore et durable, amplement méritée.