Des Horaces à Versailles pour redécouvrir Salieri
Château de Versailles Spectacle proposait ce samedi dans son antre de l’Opéra royal une recréation en version concertante des Horaces, œuvre d’Antonio Salieri. Travail passionnant et très à la mode, la recréation consiste à dénicher des œuvres oubliées, parfois très injustement, afin de les faire découvrir au public. Ces Horaces ont ainsi été créés en 1786 à Paris, en français, donc, dans le cadre d’une commande de six opéras faite à Gluck. Ce dernier ayant pris sa retraite après le troisième, c’est Salieri qui reprit le flambeau avec un succès retentissant. Pourtant, de ce compositeur souvent présenté comme le grand rival de Mozart, aucune œuvre n’est aujourd’hui au répertoire des maisons d’opéra international. L’Opéra de Versailles, accompagné du Centre de musique baroque de Versailles et des Talens Lyriques, a donc entrepris de réparer cette incohérence.
En effet, la partition est passionnante et virtuose, offrant de grands moments de lyrisme enflammé, tout comme des passages où le temps se suspend, bercé d’une douceur caressante. Les chœurs sont magnifiques et, si la déclamation tient une importance capitale, les chanteurs solistes font face à de périlleuses difficultés techniques sur chacun de leurs airs. Afin de créer l’événement et pour relever ces défis vocaux, la distribution programmée pour l’occasion est homogène et talentueuse.
Les Talens Lyriques à l'Opéra Royal de Versailles (© Jacques Verrees)
L’opéra a pour toile de fond un épisode ayant marqué la Rome antique : plutôt que de sacrifier des milliers de soldats dans une guerre sanglante, Rome et Albe décident de confier leur sort à trois combattants chacun. Trois frères Horace défient alors trois frères Curiace. Mais le livret se concentre sur l’amour unissant Camille, la sœur des Horaces, à l’un des frères Curiace. Jean-Sébastien Bou campe le père des Horaces avec une prestance seyant parfaitement au personnage. Son entrée est d’ailleurs fracassante : juste et puissante. S’il tend à relâcher ses fins de phrases, ses attaques sont précises et tranchantes. Son assise vocale lui permet de projeter des médiums brillants et des aigus raffinés. Ses graves, soyeux, manquent en revanche de portée. Très investi dans son personnage, il se fait redoutable lorsqu’il pense son fils lâche, mais aussi très affectueux lorsqu’il bénit l’union de sa fille avec un Curiace, représentant du clan ennemi (ce n’est d’ailleurs pas si fréquent à l’opéra qu’un père accepte l’amant de sa fille comme gendre !).
Jean-Sébastien Bou (© MatejaLux)
Le rôle de Camille est interprété par Judith van Wanroij, dont la prononciation du français fait regretter l’absence de surtitrages, mais dont la voix reste l’une des attractions du spectacle. Ses aigus sont d’abord très clairs avant d’être soutenus par un vibrato léger et équilibré. Son registre médian, plus sombre, bénéficie d’un timbre riche et chaud. Ces deux palettes vocales lui permettent d’alterner les émotions qui traversent son personnage au gré des vicissitudes des volontés divines. Seule émotion la mettant moins à son avantage : la colère, qu’elle voue à son frère (qui triomphe des Curiace et prend la vie de son amant) à la fin de l’ouvrage, qui lui fait contracter les muscles de la gorge et lui coupe la voix.
Judith van Wanroij (© Gerard de Haan)
Cyrille Dubois (qui chantait encore il y a peu Cosi fan tutte à Rouen -lire le compte-rendu d’Ôlyrix) interprète Curiace, l’amant de Camille qui se voit défait lors du combat final. Le ténor conserve la clarté de son timbre, déroulant la partition de son phrasé caractéristique : avec un amour évident de la langue, il porte un soin délicat à la prosodie, articulant chaque mot avec des trésors d’intentions théâtrales. Son duo avec Judith van Wanroij, à la fin de l’acte II, est particulièrement réussi. L’autre ténor partageant l’affiche, dans le rôle du frère de Camille, est tout aussi à son avantage. Julien Dran, dont la voix d’airain ressort joliment des ensembles, gratifie notamment le public au début de l’acte II d’une tenue de note à pleine puissance, couvrant le chœur et conclue avec autorité, dévoilant la vigueur du combattant qui « vole où la gloire l’appelle ».
Cyrille Dubois (© DR)
Andrew Foster-Williams (déjà présent sur cette scène pour Proserpine mercredi dernier -lire le compte-rendu d’Ôlyrix) interprète le Grand-Prêtre avec un œil sévère. S’il manque de projection dans les graves, il dévoile une puissance déconcertante sur le reste de sa tessiture, se faisant entendre sans problème malgré le chœur et des tutti orchestraux. Philippe-Nicolas Martin nous laisse, comme dans Lohengrin à Nantes (lire le compte-rendu ici), la frustration de ne pas l’entendre dans un rôle plus conséquent. Son timbre chatoyant et sa projection vocale assurée, dont seul le vibrato semble parfois mal maîtrisé, font de ses courtes interventions des moments remarquables. Enfin, Eugénie Lefebvre chante une Suivante intéressante avant de reprendre place dans le chœur (et n’en pas même sortir pour les saluts, comme il est habituellement d’usage !).
Philippe-Nicolas Martin (© DR)
Christophe Rousset dirige son ensemble Les Talens Lyriques avec une précision chirurgicale, mettant en valeur les timbres de chaque instrument par un travail fin effectué sur les nuances : il ménage des crescendos tonitruants avec l’ensemble de l’orchestre à contribution, ou valorise un pupitre, comme celui des violoncelles qui offrent l’un des moments les plus vibrants de la soirée. Le chœur des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, parfaitement compréhensible grâce à une diction impeccable, sait se montrer caressant ou bien exalté. Cet opéra nous rappelle finalement que Salieri n’était pas le rival de Mozart pour rien et qu’il est œuvre d’utilité publique que de permettre au public de découvrir sa musique.