La Directrice de Théâtre extra-Ordinaire à la Philharmonie
Le spectacle ici proposé réunit en effet mise en abyme et collage dans la tradition du pasticcio lyrique, de manière à la fois savante (pour les initiés) mais immédiatement compréhensible (pour les néophytes), fascinante et amusante pour petits et grands. Cette production se présente comme la répétition d'un spectacle (à laquelle le public est non seulement convié à assister mais même à participer), ce spectacle étant un opéra imaginaire transformant Le Directeur de théâtre (composé par Mozart en 1786), en La Directrice de Théâtre : car les commandes sont ici confiées à une ancienne soprano devenue directrice et qui va progressivement continuer de s'accaparer les commandes, jusqu'à même récupérer la fonction de prima donna de cette répétition-production (dont le désordre et la désorganisation faussement apparents permettent d'enchaîner ainsi différents airs avec une logique propre et très dynamique). Or, effectivement, Julia Knecht qui incarne cette Directrice se met à (en)chanter le grand air de la Reine de la Nuit (pour asseoir son autorité et terrifier ses employés). Son timbre est épais pour de telles coloratures, mais la matière s'exprime tant et si bien qu'elle pétrifie le plateau, fait tressaillir le pianiste et ravit la salle qui l'acclame. Elle sait aussi donner ensuite l'exemple aux protagonistes, en déployant ses phrasés dans un grand air de tristesse amoureuse (avant de reprendre ses amples vocalises).
Cet opéra imaginaire se déroule ainsi sous sa férule mais non sans résistances, en un Singspiel imaginaire : alternant passages parlés, récitatifs accompagnés et arias de fameux opéras (Le Directeur de théâtre encadre des extraits alternés et emmêlés des Noces de Figaro, de La Flûte enchantée, Don Giovanni, et Così fan tutte).
Le tout est (presque totalement) en français, non pas traduit mais adapté : le régisseur chante la vengeance qu'il fomente contre la Directrice sur l'air "La vendetta" des Noces, elle lui répond par les virtuosités de la Reine de la Nuit. Le ténor et la soprano montrent pour leur part, entre leurs arias amoureuses, qu'ils pensent tout le contraire de ces mots doux, et se détestent cordialement.
Le ténor, ici nommé "Ross Ignol" est (pourchassé par une admiratrice harceleuse comme il le chante sur l'air de "Zu Hilfe!" aussi effrayé que Tamino fuyant un serpent géant). Fabien Hyon s'implique tellement dans la dynamique du spectacle et de son personnage parodique, qu'il exagère quelque peu son tempérament vocal. Cela semble d'autant plus évident qu'il s'appuie sur une forte projection sonore et un timbre pincé de ténor lyrique italianisant. Son timbre trompetant renforce encore son caractère vocal, jusque vers un aigu un peu tendu mais avec l'épaisseur des médiums graves.
Hélas, Magali Léger, qui s'exprime pleinement sur le plan scénique (passant la moitié de son temps sous le clavecin, à faire du yoga qu'elle nomme "méditation tantrique express"), reste prisonnière vocalement de son caractère nommé Philomène Cristallin. Le chant se confine à la parodie avec une voix fausse et râpeuse dont l'épaisseur étouffée ne s'allège qu'en fins de phrasés vibrés.
Olivier Déjean (incarnant "Bouffe", le régisseur) entre avec un mètre pour mesurer la hauteur des pupitres et leur espacement d'avec les chaises, tout en chantant évidemment le début des Noces (où Figaro mesure l'espace de sa chambre conjugale). Son timbre est corsé, son phrasé dynamique mais il cache un manque de souplesse corporelle derrière la candeur de son jeu, avec des élans scéniques. Il sait aussi susciter le scandale sur le plateau et dans la salle, en clamant sa misogynie : "C'est toutes les mêmes" (sur l'air de Così fan tutte).
Benjamin Laurent incarne son véritable rôle de pianiste-chef de chant, mais joue le musicien en retard pour la répétition. Il n'est en effet jamais en retard dans son accompagnement et montre son aisance de jeux (musical et théâtral).
Les musiciens de l'Orchestre de chambre de Paris sont en tenues semi-décontractées d'une répétition supplémentaire de fin de semaine (blue jeans, hauts noirs, certains en baskets comme la cheffe), mais cette fausse indolence du spectacle ne les empêche nullement de déployer leurs grandes qualités musicales et celles de ce répertoire Classique : alliant souplesse et agilité, alternant précision piquée et grands phrasés liés (notamment dans les modulations mineures) le tout ponctué de quelques accents dramatiques. La direction de Stephanie Childress (lauréate du Concours La Maestra in loco en 2020) à la fois effilée/élancée et précise, élégante et tonique guide clairement la phalange instrumentale en deux hémisphères bien distincts et dialoguant : emmenés côté Jardin par les violons, côté Cour par les violoncelles (qui font tournoyer leurs instruments sur leurs piques entre deux pizz accompagnant le chœur du son charmant de La Flûte enchantée).
Le spectacle est en outre participatif, les passages choraux étant chantés par le Chœur des Polysons ainsi que des familles ayant préparé les chants avec la Philharmonie. Depuis les travées derrière la scène, ils déploient les sons charmants de La Flûte enchantée et s'affirment dans le Finale du Directeur de théâtre.
Le public familial emplit la Philharmonie de rires et d'applaudissements, accompagnant et saluant ce spectacle extra d'Ordinaire.