Princesse jaune et Djamileh, dépaysantes redécouvertes à Tourcoing
Après son passage à Tours au mois d’octobre, le diptyque constitué de La Princesse jaune de Camille Saint-Saëns et de Djamileh de Georges Bizet, pose ses valises à l’Atelier Lyrique de Tourcoing. Géraldine Martineau (de la Comédie Française) donne une vision assez littérale de ces deux œuvres, sa mise en scène marquant leur exotisme mais utilisant des accessoires modernes pour dévoiler l’intemporalité de leurs enjeux. L’estampe de princesse japonaise dont Kornélis tombe amoureux dans le premier opus est ici à taille humaine et représentée sur un voile transparent : lorsque Léna, qui l’aime et essaie de le ramener à la réalité, passe derrière le voile, sa silhouette se confond ingénieusement avec celle du dessin, tout comme ces deux personnages se confondent dans l’esprit drogué de Kornélis.
La seconde partie prend place dans une vaste pièce close par un triple moucharabieh, symbole de la prison dans laquelle sont enfermées les femmes esclaves dont Haroun change chaque mois pour épancher ses désirs dévorants. Les costumes de ces femmes sont à mi-chemin entre la burqa et la robe de haute couture (avec des chaussures à talons hauts rouges) pour marquer les injonctions contradictoires auxquelles elles sont soumises. La chorégraphie, réglée par Sonia Duchesne est d’un style très moderne, saccadée et sans grâce, générant un fort contraste avec la partition qu’elle illustre, qui est plus sensuelle.
En Léna, tendre amante de La Princesse jaune, Jenny Daviet peint vocalement la candeur de son personnage en plaçant haut sa voix fine et dense au vibrato intense et au timbre chaud et moiré.
Le ténor Sahy Ratia poursuit sa progression, tant dans la musicalité de ses interprétations, que dans ses incarnations. Il adoucit d’abord sa voix pour interpréter Kornélis en rêveur romantique. Son phrasé est alors très lié, souple et langoureux, toujours nuancé. Son timbre reste léger et radieux. Il se fait plus chaud sur un phrasé plus fougueux en Haroun dans Djamileh.
Dans le rôle-titre de cet ouvrage, Aude Extremo s’appuie sur une voix aussi brûlante que l’amour que son personnage porte à Haroun : de son timbre sombre percent des harmoniques lumineuses. La voix est large, tout comme l’est le vibrato ardent et le cœur innocent de l'esclave à laquelle elle prête ses traits.
Philippe-Nicolas Martin interprète un Splendiano presque sympathique malgré de sombres intentions. Sa voix très couverte avec beaucoup d’éclat, son phrasé sémillant et sa bonhomie construisent cette ambivalence, un phrasé un peu délié, laissant retomber les fins de phrases traduisant son côté obscure. L’opéra se termine sur la passion retrouvée d’Haroun pour Djamileh, qui prive Splendiano de ses ambitions amoureuses, la réaction de ce dernier à ce nouvel état de fait n’étant pas présentée : l’ambiguïté ici construite empêche ainsi la balance de pencher entre le sacrifice de Zurga dans Les Pêcheurs de perles et la folie meurtrière de Don José dans Carmen.
François-Xavier Roth, qui dirige son orchestre des Siècles, tisse des phrasés d’une grande finesse de traits, dans les moments suspendus comme dans les nuances les plus appuyées, les phrases orchestrales ayant la précision d’une gravure japonaise. Les motifs musicaux sont répétés avec de constants changements d’intentions, de couleurs et d’ambiance, rythmés par les variations de tempi, donnant beaucoup de relief, notamment dans la partition de Bizet. Le Chœur de l’Opéra de Lille chante d’une seule voix (malgré les embuches rythmiques) avec la vivacité des joueurs alcoolisés ou la langueur des esclaves attendant que leur sort soit scellé.
Si la salle du Théâtre Raymond Devos n’est pas pleine, elle accueille malgré tout avec enthousiasme cette double redécouverte et ceux qui l’ont permise.