Parsifal entre chaud et froid à l’Opéra Bastille
Dans son approche de Parsifal, Richard Jones a choisi d’opposer deux mondes totalement et irréductiblement inconciliables, dont la magicienne Kundry constitue le seul lien ô combien fragile et vénéneux. D’un côté, les Chevaliers du Graal apparaissent perclus dans une dévotion décadente et totalitaire à Titurel, le premier d’entre eux, dont le portrait domine puissamment la scène et dont chaque chevalier exhibe en permanence le livre primordial.
Ils attendent, après la blessure infligée à leur grand prêtre Amfortas et la perte de la lance sacrée, la venue espérée de l’élu, du rédempteur qui les sauvera du démon et de la perte, même si les cérémonies entourant le rituel du Graal semblent désormais un peu vides de sens avec un Titurel cacochyme et aux portes de la mort.
Face à cette communauté en déliquescence, se dresse la figure maléfique et torturée de Klingsor, ici devenu une sorte de généticien fou qui cultive dans ses serres des femmes hypersexualisées, mi femme, mi épis de maïs qui parviennent avec l’apport de Kundry à séduire et à terrasser les chevaliers qui s’égarent dans leur domaine enchanté, tel Amfortas.
La mise en scène de Richard Jones se base sur cette approche fort cohérente, qui débouche au troisième acte sur une possible rédemption, voire une éclaircie envisageable pour les Chevaliers du Graal.
Le décor imposant du premier acte, constitué de plusieurs pièces adjacentes, se déplace sur un axe complet et de façon latérale qui mobilise les ressources techniques de l’Opéra Bastille. Les codes du Regietheater allemand sont ici déployés mais sans excès, par Richard Jones et ses collaborateurs -Ultz pour les décors et costumes, Mimi Jordan Sherin pour les lumières-, avec ces Chevaliers (dont Gurnemanz) habillés de façon sportive ou la présence de cette cuisine de collectivité qui peut surprendre.
Si les personnages apparaissent dans l’ensemble bien dessinés et repérables, une approche plus cernée lors du duo entre Parsifal et Kundry eut été bienvenue, cette dernière semblant un peu livrée à elle-même. Et la partie chorégraphiée et déjantée des Filles-fleurs demeure bien prosaïque avec ces contorsions lascives plutôt repoussantes qu’attirantes.
À la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, Simone Young propose une lecture linéaire de la partition de Wagner, sensible certes, attentive et emplie de nuances, mais dont l’éclat et une certaine forme de démesure font défaut pour pleinement convaincre sur la totalité de la représentation. Les Chœurs remplissent bien leur office, avec quelques décalages avec l’orchestre appelés à se résorber au fil des soirées à venir.
Grand habitué du rôle-titre, Simon O'Neill fait ses débuts à l’Opéra Bastille. Si le timbre apparaît assez nasal, l’artiste sait moduler avec finesse sa partie, entre vaillance contenue et soucis d’une ligne de chant qu’il ne cherche jamais à bousculer. Son Parsifal émeut plus qu’il ne transcende toutefois. Le beau mezzo de caractère de Marina Prudenskaja (Kundry) manque étrangement d’ampleur et de diversité dans les couleurs au deuxième acte. Les limites de la voix se heurtent aux aigus dont le rôle est alors parsemé, qui se transforment trop souvent en cris.
Kwangchul Youn donne un relief particulier au rôle de Gurnemanz, assez éloigné de la figure du vieillard prêcheur habituellement présentée. La voix sonne juste et se déploie avec endurance dans les longs monologues. Mais là encore, la puissance requise semble un peu en retrait.
Cette caractéristique vocale marque aussi l’interprétation de Brian Mulligan en Amfortas. Cette voix claire d’essence et conduite avec beaucoup de musicalité, convient bien au personnage qu’il rend émouvant plutôt que torturé. Reinhard Hagen connaît son Titurel sur le bout des doigts pour l’avoir souvent interprété et sa voix de basse répond avec autorité, tandis que Falk Struckmann campe un Klingsor impérieux et fort inquiétant avec toute l’autorité d’une longue carrière. Les deux chevaliers du Graal qui interviennent individuellement sont chantés par le ténor un peu fragile ici, Neal Cooper et la basse plus présente, William Thomas.
Filles-Fleurs, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur au riche mezzo-soprano, Claudia Huckle (également une Voix du Ciel imposante par la profondeur de son contralto), Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar, Ramya Roy s’harmonisent parfaitement sous la houlette de la première d’entre elles, la soprano à la voix épanouie et libre de Tamara Banješević. Les ténors Tobias Westman et Maciej Kwaśnikowski campent avec sureté et une présence effective les deux écuyers.
Le spectacle, quoique soufflant le chaud et le froid, reçoit un réel succès public.