Chatoyante Caravane du Caire à Tours
En 2019, Château de Versailles Spectacles confiait à Marshall Pynkoski une mise en scène du Richard Cœur-de-Lion d’André Grétry (lire notre compte-rendu). Cette Caravane du Caire du même compositeur par le même metteur en scène, présentée à l’Opéra de Tours en coproduction avec Versailles qui la présentera à son public la saison prochaine, apparaît donc comme le deuxième volet d’un travail de redécouverte de l’œuvre de ce contemporain de Mozart.
Cet opus conte les tribulations d’un couple, Saint Phar et Almaïde, tombé sous la coupe de l’esclavagiste Husca qui revend la jeune femme au Pacha Osman : dans le plein esprit de l’exotisme, en vogue à cette époque (la proximité avec l’intrigue de L’Enlèvement au Sérail, composé un an plus tôt, est évidente). Marshall Pynkoski en défend une vision très classique, avec de riches costumes (signés Camille Assaf) et d’élégantes chorégraphies réglées par Jeannette Lajeunesse Zingg. Les personnages ayant une vocation comique sont dotés de masques rappelant la Commedia dell'arte.
Dans les rôles d’Husca (comique) puis de Florestan (sérieux), Jean-Gabriel Saint Martin tire clairement son épingle du jeu, grâce à sa voix vive et bien projetée de baryton au timbre à la fois charbonneux et lumineux. La voix est maîtrisée sur tout l’ambitus, son vibrato est fin et rapide, sa prosodie précise et ses phrasés travaillés. Enguerrand de Hys assure le spectacle (et en est récompensé par des acclamations lors des saluts), défendant un Tamorin précieux et grivois, bondissant et grimaçant, cynique et farceur. Le ténor s’amuse en tout cas de manière manifeste de son rôle. Sa voix claire est placée dans le masque, ce qui donne à son timbre un grain chaud, légèrement nasal. Ses vocalises, légèrement glissantes, n’en restent pas moins agiles.
La soprano Maya Villanueva en Zélime dispose d’une voix opulente au vibrato appuyé, mais qui manque d’appui. Blaise Rantoanina incarne avec virilité son promis Saint Phar de sa voix au timbre franc et chaud, moins solide toutefois dans le registre aigu. Olivier Laquerre use de sa stature longiligne pour camper Osman Pacha en bellâtre aristocratique, finalement assez drôle. Sa voix sombre manque cependant de corps et de placement, ce qui fragilise sa ligne vocale, notamment dans le registre supérieur. Chloé Jacob chante sa femme, Almaïde d’une voix puissante et ronde, au timbre capiteux, qu’elle maintient cependant dans une nuance uniformément forte, poussant sa voix jusqu’à laisser apparaître un léger métal. Sa diction est en revanche précise et travaillée.
Lili Aymonino fait preuve d’une belle présence scénique en Esclave française, et expose une voix fine et vibrante, bien projetée, aux aigus très purs et aux graves un peu éteints. Très appliquée, elle pourrait davantage affiner ses phrasés. Esclave italienne, Tatiana Probst émet avec aisance une voix centrale, les aigus étant plus durs. Sa voix agile, très vibrée, repose sur un souffle long. Mélanie Gardyn joue l'Esclave allemande, rustre, de sa voix large et grave. Yaxiang Lu apparaît furtivement en Furville, laissant entendre une voix puissante, profonde et riche, avec une diction imprécise. Enfin, Jean-Marc Bertre en Osmin délivre une voix mate et vigoureuse.
Collaboratrice de longue date d’Emmanuelle Haïm, Stéphanie-Marie Degand, à la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tour, donne à la partition des accents mozartiens : des lignes légères et vibrionnantes aux reliefs escarpés. La petite harmonie brille particulièrement, tout comme la harpe soyeuse. La cheffe mène la phalange de ses grands gestes, énergiques et didactiques. Le Chœur de l'Opéra de Tours bien que divisé entre des effectifs sur scène et des chanteurs en loge, garde un son cohérent, puissant et chaleureux, riche de la grande variété des timbres qui le compose.
Tandis que l’orchestre continue de résonner en fosse, les interprètes saluent dans une chorégraphie enthousiaste, sous les jets de confettis. Le public, content de sa découverte, offre un accueil particulièrement chaleureux à l’ensemble des artistes.