Triptyque Händelien au Festival de Pâques d'Aix-en-Provence
Le concert déploie un triptyque avec un double contraste : profane puis sacré, maturité puis jeunesse avec des extraits des opéras Rodelinda (1725) et Ariodante (1735) puis, après l’entracte, le motet de jeunesse Dixit Dominus (1707).
Le contraste et la richesse de ce concert sont aussi visuels : avec les lumières (bleu et or projetées en fond de scène), les changements de tenues, les déplacements des solistes au pourtour de la phalange, ainsi que la gestuelle importée du théâtre.
La soprano Francesca Aspromonte apporte au trio de solistes sa présence de vestale et son timbre de grenade, surgissant de la pénombre des coulisses jusqu’à la lumière des projecteurs. Sa voix scintille, ronde et rayonnante, en contrepoint avec les solos boisés de la flûte traversière, comme du violoncelle. Dans ses airs au tempo modéré, elle aborde la ligne par le dessus de la note, comme pour lui donner plus de contour ou l’aérer, avec un solide métier. Les mots sont de surcroît parsemés de trilles et soulignés de quelques glissandi miniatures qui portent l’émotion triste de ses personnages, avant de se poursuivre en longs sons filés.
Sa collègue soprano Chiara Skerath déploie un timbre de platine, à la mécanique organique de précision, parfaitement huilée. Elle tisse un fil de chant minutieux, produisant d’étroits sanglots sur les "i" et des gorgées d’amertume sur les "é". La longueur de son souffle lui permet d’aller chercher les graves qu’elle accroche aux plaintes du basson. Avec légèreté (voire humour), elle répond à l'orchestre en écho et dans un tournoiement de vocalises lumineuses et intenses.
Le contre-ténor américain Lawrence Zazzo surgit d’un pas décidé, depuis les coulisses. Il se place à l’avant-scène, en oblique, un puis deux bras en direction du public, comme pour mieux décocher ses flèches vocales. Il canalise l'onde électrique qui le traverse. L’émission un peu fine et le timbre un peu mat dans les premières notes s'installent progressivement et l'articulation musclée s'arrondit. Ses vocalises se déploient depuis le grave de sa tessiture, mais s'élèvent comme de petites mèches en s'alliant avec la flûte et le hautbois.
Le ténor Benoît-Joseph Meier et le baryton Étienne Bazola apportent leur renfort vocal avec aisance et présence dans les ensembles conclusifs.
La cheffe Laurence Equilbey dirige dans une gestuelle crépitante ou planante, en cohérence avec l’écriture particulière de Händel. Elle en découpe les séquences avec clarté, calibrant les silences aux différents points d’orgue. Les musiciens y puisent des phrasés élancés avec légèreté, des attaques claires et des échanges limpides (entre pupitres aussi bien qu'entre chœur et orchestre).
Le Chœur accentus, préparé par Christophe Grapperon, se déploie comme un grand orgue, dont les registres multiples emplissent l’espace sonore de ses registres. Chaque pupitre se singularise et se mêle à l’ensemble sans perdre sa couleur propre.
La phalange sur instruments d’époque produit un son doux, précis, depuis les pianissimi des cordes jusqu’aux tutti de granit, en passant par un continuo aussi efficace qu’élégant.
Laurence Equilbey et ses phalanges ressuscitent ainsi une fois encore et pour le public enthousiaste de ce Festival de Pâques d'Aix-en-Provence la saisissante modernité d’écriture de Haendel.