Samson et Dalila à Bastille : tous fous de Dalila Rachvelishvili
Rare opéra inspiré d’un épisode biblique, Samson et Dalila se concentre sur la chute de ce héros sans revenir sur ses exploits. Le livret explore la relation d’amour-haine entre lui et la tentatrice Dalila, ainsi que sur les enjeux politiques à l’œuvre dans chaque camp. Les tiraillements des deux personnages entre leur devoir et leurs sentiments sont décortiqués dans une ambiguïté constante. Damiano Michieletto, dans sa mise en scène, cherche à approfondir ces pistes : Samson est isolé et montré du doigt au sein d’un peuple hébreu dépité, courbé sous le joug de l’envahisseur philistin. De son côté, Dalila, qui entretient une relation charnelle avec le Grand-Prêtre de Dagon (ils apparaissent ensembles à la fenêtre de la chambre de la jeune femme au premier acte, et laissent entrevoir leur intimité au second), est dévouée à sa patrie, en quête de vengeance envers celui qui lui a par trois fois fait l’affront de la repousser. Mais elle reste irrésistiblement attirée par Samson qu’elle aime au plus profond d’elle-même, jusqu’à devenir l’actrice de sa vengeance en l’aidant à brûler le temple dans les ultimes instants de l’ouvrage, se substituant ainsi à la grâce divine (le livret prévoit que Samson retrouve sa force le temps de détruire le temple).
Damiano Michieletto durant les répétitions de Samson et Dalila (© Elena Bauer)
Si la direction d’acteurs est parfois réduite à son strict minimum (Aleksanders Antonenko, interprète de Samson, semble parfois perdu sur scène durant le premier acte), la mise en scène réserve quelques images fortes et marquantes : Abimélech amusant ses soldats à des jeux cruels puis tirant dans la foule des esclaves hébreux ; le songe de Samson qui voit son double se faire crever les yeux durant la Danse des Prêtresses, poussant un cri comme s’il en avait réellement ressenti la douleur ; le moment au cours duquel il chavire, à la fin de l’acte II, coupant sa chevelure pour l’offrir à Dalila ; l’orgie des Philistins occupant le ballet du troisième acte, au cours de laquelle ces derniers humilient des esclaves affamés et maltraitent Samson ; la destruction du temple qui occupe les dernières seconde de l’œuvre, au cours de laquelle les philistins interprétés par le chœur dansent au ralenti. Si une partie du public a acclamé l’équipe créatrice (incluant Paolo Fantin pour les décors, Carla Teti pour les costumes et Alessandro Carletti pour les lumières), de vifs sifflets se sont tout de même fait entendre, une partie du public ayant peu goûté la violence de certains passages, la modernité des costumes et la réinterprétation de la fin de l’ouvrage.
Nicolas Testé (Abiménech) dans Samson et Dalila (© Vincent Pontet)
Anita Rachvelishvili (voir son interview à Ôlyrix) interprète une exceptionnelle Dalila. Sa prononciation française quasiment parfaite est portée par une voix d’une grande intensité. Ses graves profonds au timbre tantôt voluptueux et tantôt autoritaire, frémissent d’un vibrato ardent qui sublime des tenues de notes exquises de subtilité. Composant un personnage d’une délicatesse sensuelle sans minauderie inutile, elle joue l'ambiguïté des sentiments de son personnage, laissant le spectateur douter des sentiments de Dalila jusqu’à son geste rédempteur final. Véritable tigresse dans sa confrontation avec Samson au deuxième acte, accompagnée d’un roulement tonitruant aux timbales, elle sait aussi se faire chatte quelques instants plus tôt pour le séduire. À ce titre, l’air Mon cœur s’ouvre à ta voix est éblouissant : le tempo lent appliqué par le chef Philippe Jordan permet au jeu de se dérouler et au charme d’opérer.
Aleksandrs Antonenko dans Samson et Dalila (© Vincent Pontet)
Samson est interprété par un Aleksanders Antonenko inégal et dont le timbre rocailleux s’accorde mal à celui de Rachvelishvili. Si ses efforts de prononciation sont indéniables et ses progrès frappants en français, il ne parvient pas encore à rendre les surtitres inutiles. Sa puissance vocale fait fureur, en particulier dans son Israël, romps ta chaîne ! qui arrache un frisson. La voix souvent trop couverte d'un voile parvient pourtant à trouver de l’éclat par moment, comme lorsqu’il conclut l’acte II d’un « Trahison ! » déchirant ou lorsqu’il émet son premier « Je t’aime » tout en nuance. Parfois perdu sur scène au cours du premier acte, il se montre très convainquant dans son duo avec Dalila à l’acte II et est touchant lorsqu’il est humilié, courbé mais toujours battant à l’acte III.
Le Grand-Prêtre est interprété par le baryton-basse letton Egils Silins dont la voix puissante et grave l’impose dans sa stature de grand méchant corrompu, jouisseur et belliqueux. Son air Maudite à jamais soit la race est particulièrement poignant. Son duo avec Anita Rachvelishvili, Il faut, pour assouvir ma haine au deuxième acte, bien qu’abordé sur un tempo vigoureux, reste parfaitement en place. Leurs deux voix s’associent magnifiquement dans des graves ténébreux. Nicolas Testé campe un Abimélech terrifiant et odieux tout en gardant une certaine élégance, grâce à une voix assurée et bien projetée. La basse Nicolas Cavallier chante le rôle du Vieil hébreu, qui tente en vain de ramener Samson à la raison et de l’arracher aux charmes de Dalila. Il se dégage de sa voix une grande noblesse, qui reste présente dans les tréfonds de sa tessiture.
Egils Silins dans Samson et Dalila (© Vincent Pontet)
Le Directeur musical de l’institution, Philippe Jordan, dirige avec brio l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, resplendissant. Dès les premières notes de l’ouverture, la musique de Camille Saint-Saëns prend aux tripes, par sa richesse, son emphase, son lyrisme ainsi que ses couleurs et ses inspirations. Les crescendos-decrescendos, qui rappellent Wagner (à qui Saint-Saëns a également emprunté le concept de leitmotiv qu’il attache notamment au Grand-Prêtre) font ainsi monter progressivement la tension d’une partition à la puissance évocatrice exceptionnelle. Les sextolets à la flûte et au hautbois, décrits par Jordan dans le programme comme une évocation du vent, semblent par exemple balayer les doutes de Dalila avant l’arrivée de Samson, à l’acte II. De son côté, le Chœur de l’Opéra de Paris occupe un rôle important dans l’intrigue. D’abord israéliens désolés, ils se montrent puissants au début du premier acte, avant d’afficher une douceur suave sur l’Hymne de joie. Dans le dernier acte, ils prennent un plaisir manifeste et réjouissant à interpréter des philistins sans scrupules ni mesure.
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