Passion selon Saint Matthieu frémissante à la Philharmonie de Paris
Philippe Herreweghe a si souvent dirigé à travers le monde cette Passion selon Saint Matthieu de Bach qu'elle est devenue une de ses interprétations ‘signature’. Et pour cause, les musiciens du Collegium Vocale Gent récitent cette grammaire musicale de Bach sur le bout des doigts, déployant la maîtrise de leur orfèvrerie instrumentale : la rondeur extrême des cordes, la virtuosité folle des gambistes, la suavité totale des bois, la précision étonnante des continuistes.
Herreweghe dirige par touches : un haussement de sourcil par-ci, une inflexion de phalange par là, un dodelinement de la tête suffisent à insuffler la dynamique et le phrasé. Et quand il fait un pas en descendant de son estrade pour danser avec les violons, un murmure d’émotion parcourt la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie. Après tant d’années de pratique assidue de Bach, il offre une vision aux lignes épurées et vives, dans une recherche de son toujours plus lumineux et éclatant, même dans les moments les plus poignants et sombres de la Passion.
Les membres du chœur du Collegium Vocale Gent (composé en partie de tous les solistes à l’exception de l’Évangéliste et de Jésus) jettent à peine un œil à la partition, déroulant en toute sérénité des chorals majestueux ou recueillis, ou bien des vociférations de la foule toujours intenses sur le plan dramatique mais sans qu’aucun son durci ou d’affect de mauvais goût ne vienne perturber l’immense cours de ce fleuve argenté.
Philipp Kaven campe un Pilate bien projeté de son timbre opulent en quelques interventions nettes et solides. Guy Cutting délivre un chant plein de sobriété et de retenue, avec une ligne vocale élégante et fraîche. Son comparse Samuel Boden est quant à lui émouvant et attentionné avec des vocalises très délicatement menées comme pour une berceuse pleine de compassion. James Hall impressionne par l’homogénéité des registres et la puissance de son médium, ainsi que par la justesse de ses phrasés. Tim Mead est très théâtral, à la fois direct et avec des accents tragiques, aisé dans l'aigu le tout dans une ligne toujours souple et soignée. Tobias Berndt est un Judas très incisif et troublant, avec une assise dans le bas médium, une articulation irréprochable et sa rondeur de timbre. La basse Peter Kooij, même s’il a un peu perdu de l’ampleur de sa voix et du cuivre flamboyant de son timbre, a encore le métier et un savoir-faire évident, un registre central et aigu impeccables au service d'un phrasé convaincu.
Grace Davidson aurait pu tirer profit de plus d’engagement dramatique au service de son timbre frais, de son aigu vif et coloré. Dorothee Mields déploie une ligne toujours inventive, chaque intervention étant investie comme des scènes de théâtre lisibles et raffinées, avec la dorure pleine de ses aigus et la tenue de son souffle.
Florian Boesch maîtrise chacune des prises de parole de Jésus, dans un vaste éventail de propositions alternant solennité, majesté, pudeur, douleur et humanité avec son baryton ample et puissant, ses harmoniques graves décuplant l’impact et l’engagement de la figure christique.
Enfin, Reinoud van Mechelen décline le registre complexe des émotions de l'Évangéliste dans des récitatifs fulgurants qui allient qualité de diction et investissement dramatique, tandis que la facilité de ses aigus emplissent la Philharmonie jusqu’au dernier rang. Il reçoit une ovation marquée.
La vingtaine de minutes d’applaudissements et de rappels qui suivent les dernières résonances du Chorus final résument la soirée.